ÉTONNANTE par l’unité préservée de ses boiseries, la pharmacie Lhopitallier est sans aucun doute une des plus belles conservées du XIXe siècle, une de celles qui, une fois refermée la porte derrière vous, transporte à une autre époque. Les hauts de forme et les dames en chapeaux semblent un instant supplanter le client moderne. Le bois craque légèrement au rythme des pas tandis que la caisse, belle dame clinquante vieille de plus de cent ans, n’a pas interrompu son service. Le lieu vit, mais l’atmosphère est inchangée. Comme par magie, les bruits de l’officine - le silence retenu de cette vieille femme malade qui attend ses médicaments, les crissements de la porte d’entrée et le son feutré des allées et venues du pharmacien - sont ceux des siècles passés.
Ce pharmacien, c’est Roger Lhopitallier, qui parle avec un amour non dissimulé de la pharmacie de son grand-père, devenue sienne en 1972, et qui reçut, en 1977, le prix de la plus belle devanture de boutique de Paris. Ce passionné d’histoire choye chaque détail de son officine familiale et attire notre attention sur les trésors de ce lieu d’exception : « Ne voyez-vous pas que les pots en verre du XIXe siècle situés en haut des étagères ont une particularité ? ». Si, ils brillent bien sûr ! Leurs étiquettes, collées à l’intérieur, sont en fait ornées d’un cadre fait à la feuille d’or. Comme dans un musée, les pots alignés ont ainsi trouvé leur place depuis très longtemps.
La visite continue ensuite dans l’arrière-boutique où sont toujours en place les étagères à eaux minérales et les étagères à vins toniques. Et puis, stupéfaction, d’incroyables alambics de cuivre sont exposés sur la table de travail tapissée de céramique au-dessus des vieux fours. Magnifiques, ils datent du milieu du XVIIIe siècle, au temps où l’officine était située rue de la Montagne Sainte-Geneviève, avant d’être obligée de déménager, suite aux travaux de prolongement de la rue des Écoles ordonnés par le Baron Haussmann. Ces alambics ont une histoire que nous raconte Roger Lhopitallier. Ils ne doivent, en effet, d’avoir échappé à la destruction qu’à la présence d’esprit d’Henri Lhopitallier car, après la seconde guerre mondiale, la fabrication d’alcool étant illicite, ils faillirent être détruits « à la masse » comme l’indiquait une lettre adressée au maître des lieux en 1946. Henri répondit alors à l’administration française que de telles méthodes avaient déjà été employées pendant la guerre par les Allemands et qu’il serait fort regrettable que ses précieux alambics, heureusement sauvés, soit saccagés. Seuls les scellés seront ainsi mis quelque temps plus tard…
Plus profondément, dans l’arrière-boutique, Roger Lhopitallier nous entraîne dans un espace plus réduit pour nous montrer combien l’histoire vit encore dans sa pharmacie à travers une inscription d’élève pharmacien stagiaire du temps de son grand-père. Les apprentis couchaient sur des lits pliants dont les montants sont encore visibles dans l’arrière-boutique et l’un d’entre-eux écrivit ceci en latin au mur : « Magna domus parvas quies », c’est-à-dire « Grande maison, peu de repos ».
Entre passé et présent, entre clients réguliers et touristes de passage, l’officine Lhopitallier, du numéro 3 rue Soufflot, continue de vivre avec une mémoire familiale vieille de plus d’un siècle, mais aussi une mémoire pharmaceutique plus vieille encore. Car s’il s’agit d’un mobilier de style Empire que l’on peut voir aujourd’hui, il existait avant, rue de la Montagne Sainte-Geneviève, un mobilier de style Louis XV pour la bonne raison que le premier maître apothicaire de l’ancienne pharmacie Lhopitallier était un certain Joseph Bataille qui s’établit dès 1749. Ses successeurs rue de la Montagne Sainte-Genviève (quartier qui était d’ailleurs très prisé des pharmaciens) prendront le statut de pharmaciens et auront leur petite notoriété, comme Jean-Nicolas Trusson qui fut prévôt du collège de pharmacie, puis directeur adjoint de l’école de pharmacie de 1803 à 1811.
Il est certain que la pharmacie Lhopitallier a une riche et longue histoire qui a su être en partie sauvegardée par plusieurs générations successives d’apothicaires, puis de pharmaciens. En sortant munis de leurs médicaments, dispensés par Roger Lhopitallier ou sa femme, les clients peuvent jeter un coup d’œil dans la boule de cristal de la devanture où se reflète la belle façade de la faculté de droit située juste en face. Au cœur d’un des plus beaux quartiers parisiens, la pharmacie Lhopitallier n’en est que plus précieuse.
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