PARIS, 1667. Une foule se masse au Jardin botanique du Roi. Depuis plusieurs jours déjà, « des hommes savants et éclairés en la Médecine et la Pharmacie », comme l’écrit Moyse Charas lui-même dans sa Thériaque d’Andromaque (publiée en 1668 à Paris), sont venus assister à sa première préparation publique de la thériaque. Né à Uzès dans une famille protestante, puis reçu maître-apothicaire à Orange, Moyse Charas apprend la composition des précieuses panacées universelles à Montpellier, Lyon et Marseille. Au milieu du XVIIe siècle, les affaires d’empoisonnement sont légion et la thériaque joue pleinement son rôle d’antidote. Étant nommé apothicaire de Monsieur, Frère du Roi, après son arrivée à Paris, Moyse Charas comprend la place que la thériaque occupe dans la pharmacopée de son époque. Il est même appelé par le lieutenant de police La Reynie pour l’assister dans la grande affaire des poisons qui ébranle toute la cour entre 1672 et 1682. Dans ce climat de suspicion, les ventes de thériaques augmentent mais beaucoup sont charlatanesques. En homme érudit et intelligent, Moyse Charas décide de publier de grands traités destinés au public qui apportent des éléments nouveaux par rapport à la science des Anciens et revalorisent le métier d’apothicaire par rapport à celui de médecin : « On ne doit pas s’étonner si je crus qu’on aimerait mieux profiter de l’ouvrage d’un pharmacien exercé dans sa profession, que d’attendre que quelque docteur composât un livre plus accompli. » Ses nouvelles expériences sur la vipère (publiées en 1669), où il fait une « description exacte de toutes les parties du corps de la vipère, la source de son venin et ses divers effets », et sa pharmacopée royale galénique et chimique (publiée en 1676 puis 1681 en plusieurs langues), dédicacée à Colbert, le rendent célèbre. Dans cette dernière, il exprime le désir d’élever le niveau de la pharmacie française en créant le premier grand ouvrage de référence. Il y réussit !
Londres, 1680. Les persécutions se font de plus en plus fortes vis-à-vis des protestants. À la veille de la révocation de l’Édit de Nantes, Moyse Charas décide d’exiler sa famille à Londres, où il soigne le roi Charles II. Après avoir été reçu docteur en médecine lors d’un bref retour dans la ville d’Orange, il passe à nouveau du temps à Londres, à la Royal Society, et probablement auprès du philosophe John Locke, devenu son ami, après avoir habité quelques mois dans sa maison parisienne et avoir été le témoin de ses expériences sur les vipères.
Madrid, 1684. Après deux ans passés en Hollande, Moyse Charas, qui aimait beaucoup voyager, s’embarque pour l’Espagne. Le succès ne se fait pas attendre. Sa médecine et sa connaissance de la pharmacopée sont reconnues à Madrid et à La Corogne et même bientôt jalousées. Ses guérisons deviennent gênantes pour les médecins locaux si bien qu’un jour de septembre 1688, alors qu’il soigne deux religieuses d’un couvent de Lugo, un ecclésiastique l’attend à la porte et lui demande de soigner son bras. Attiré ainsi dans la prison ecclésiastique, Moyse Charas tombe en fait dans un piège et se fait enfermer par l’Inquisition. Après un procès qui tenta de sonder son esprit diabolique, l’apothicaire du roi de France se résout finalement à abjurer le protestantisme et est libéré le 25 février 1689.
Retour à Paris, 1690. Le roi et la capitale l’accueillent les bras ouverts et reconnaissent en lui un grand homme, digne d’être accepté comme membre de l’Académie des Sciences. Les dernières années de sa vie sont ainsi très riches en travaux de recherches, aussi bien sur les fièvres, la syphilis, les engelures, l’opium, l’ammoniac… Fidèle à sa réputation, il continue également ses expériences sur les vipères, et même si ses observations ont été contestées par l’italien Francesco Redi (qui pensait que le venin de la vipère était toujours mortel alors que Charas défendait qu’il ne l’était que si la vipère était en colère), il brilla à l’Académie et prouva à tous qu’il était plus un homme d’expériences que de théories, en se faisant mordre par une vipère en pleine séance de démonstration, morsure qui ne sembla pas le perturber…
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