L’image de la Calabre renvoie à des clichés rebattus. La pauvreté, associée depuis toujours au sud de l’Italie, comme la Ndrangheta et ses trafics illicites, jettent un voile sur son intérêt touristique. Misère ? Corruption ? Si ces deux tares existent, le touriste n’y est pas réellement confronté. Raison pour laquelle il est conseillé d’entreprendre un voyage à l’extrémité de la Botte, histoire de soutenir un peu l’économie régionale et de découvrir des paysages et un passé beaucoup plus riches qu’attendus.
Reggio de Calabre, un soir de juin. La plus grande cité de la région (185 000 habitants) observe un rituel bien connu en Italie : la passeggiata. Le Lungomare, longue promenade littorale bordée d’imposants ficus-magnolias, se remplit de passants qui déambulent en respirant le petit vent marin. Au large, des navires remontent le détroit de Messine. Sur l’autre rive, les lumières de la côte sicilienne commencent à scintiller alors qu’au-dessus se découpe le cône imposant de l’Etna. Une vue magnifique exaltée par l’écrivain Gabriele D’Annunzio, qui considérait le Lungomare comme le plus beau kilomètre d’Italie.
La ville présente un plan de rues en damier qui dévalent vers la Méditerranée. Elle possède de beaux palais et résidences, décorés de colonnes et de blasons, témoins d’une fortune commerciale maritime évanouie. Et si, en mai ou en juin, on aperçoit des espadons géants sur les étals des poissonniers, il ne faut pas s’en étonner : la région est connue pour la pêche de cette espèce, réalisée sur de curieux bateaux.
Voici Scilla et Bagnara, deux ports de la côte nord de la pointe calabraise, sur la mer Tyrrhénienne. On la surnomme Costa Viola, eu égard à la couleur violacée que prend le paysage au coucher du soleil. Durant deux mois, de petites embarcations de pêche sillonnent la côte, près du rivage. En haut d’un mât métallique de 15 à 20 m, le capitaine, chargé d’alerter ses marins de la présence d’un espadon. Quand il est vu, le bateau s’en approche et un équipier, posté au bout d’une longue passerelle horizontale, le harponne. Une pêche de vigie – presque une chasse ! – unique dans la région.
Cette partie de côte, pour l’essentiel rocheuse et vertigineuse, est la plus belle de Calabre. La visite de Scilla, splendide village à ruelles étroites et escaliers déployés au pied d’un fort, rappellera que, dans « l’Odyssée » d’Homère, se cachait ici un monstre marin. Il était opposé à Charybde, un gouffre placé sur la rive sicilienne. De là vient l’expression « tomber de Charybde en Scylla ».
Au sud, côté mer Ionienne, place aux plages. De Porto Salvo à Locri et au-delà, le pourtour littoral est une longue litanie de sable blond, interrompue par des villages balnéaires et quelques reliefs rocheux. Très peu d’hôtels ont pris place sur ce front de mer, qui reste inexploité. Les adeptes de détente balnéaire trouveront ici de bonnes raisons de se faire plaisir.
Montagne et villages éperons
Mais la grande surprise de la pointe de la Calabre reste la découverte du massif de l’Aspromonte. Qui aurait pensé que ces terres arides brûlées par le soleil méditerranéen cachent en leur centre un relief tourmenté et boisé, frais l’été et enneigé l’hiver (il abrite une station de ski, Gambarie) ? Culminant à 1 955 m au Montalto, planté de chênes et de résineux, il rappelle les montagnes corses. Des kilomètres de routes tortueuses le sillonnent.
Sur les pentes de l’Aspromonte, dont le cœur est vide d’habitants – mais rempli d’itinéraires de randonnée et de cascades – se dressent des villages éperons. Certains sont anonymes, d’autres célèbres. Sur le versant est, San Luca est connu pour être le fief de la ’Ndrangheta, la redoutable mafia calabraise. Au nord, Mammola est réputé pour le stockfisch, une spécialité de morue dessalée servie dans les restaurants du village, dont l’origine nordique remonterait aux Normands ou aux Vénitiens, les avis divergent. Dominant au loin la mer Ionienne, Gerace se souvient qu’elle fut un fief normand, napolitain, aragonais… Elle en garde une inimitable atmosphère médiévale, les ruines d’un château et de nombreuses églises, dont la cathédrale, de style romano-normand. Entre Natile et San Luca, la Vallée des Grandes Pierres souligne les facéties de la nature : d’immenses monolithes se dressent au-dessus des forêts, conférant au paysage une allure étrange.
Sur ces versants sauvages où la population s’était jadis réfugiée, un territoire fait exception : la région Grecanica. Dans une dizaine de villages isolés de part et d’autre du fleuve Amendolea, sur les hauteurs de la mer Ionienne – certains sont devenus de spectaculaires villages fantômes, à l’image de Roghudi –, des anciens parlent encore une langue gréco-calabraise. Héritage des colonies antiques ? Influence de populations hellénophones arrivées au Moyen Âge ? Toujours est-il que la culture grecque conserve de beaux restes (inscriptions bilingues, vestiges de chapelles de rite orthodoxe, spécialités culinaires…). C’est l’une des sensations de cette région ultime de la Botte, qui mérite l’attention plus soutenue des voyageurs européens.
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