Au cœur de la démarche des groupements, la question clé reste la rentabilité du dispositif choisi. Le retour sur investissement, ou ROI (return on investment), constitue une interrogation d'autant plus justifiée que la pratique de la téléconsultation est trop récente pour permettre un bilan consolidé. Dans l'incapacité de pouvoir anticiper avant de l'avoir mise en place lui-même dans sa propre officine, le pharmacien doit s'en remettre à l'arbitrage de son groupement.
« Si le groupement doit laisser le pharmacien indépendant dans son cœur de métier, il doit en revanche agir sur le côté politique et réglementaire car le modèle économique reste à construire », constate Lucien Bennatan, président de PHR Groupe, estimant que « les groupements doivent mieux militer pour aller chercher les ressources nécessaires ». Et d'ébaucher quelques pistes de financement par le biais de certains organismes payeurs ou d'industriels par exemple… Dans cette perspective, une nouvelle fois, les groupements se retrouveront dans leur position originelle, celle de négociateurs capables de peser de tout leur poids.
Définir le point mort
C'est dire si la question du financement de la téléconsultation est intrinsèque à la démarche des groupements qui tiennent compte, d'une part, du financement des investissements par l'assurance-maladie et, d'autre part, de la rémunération du temps passé, prévue à l'avenant 15 (voir page 18). « Le retour sur investissement est très variable selon les solutions proposées sur le marché - de 2 consultations par jour à 2 par mois - mais encore une fois attention aux investissements trop lourds dans des solutions aux dimensions non adaptées par rapport aux besoins de l’officine ! », analyse Franck Vanneste, président de Giropharm. Cette prudence qu'observent les groupements se comprend aisément quand le point de mort fait l'objet de nombreuses controverses. Pour certains, comme HPI Totum, il se situe à 450 téléconsultations par an, soit 1,5 téléconsultation par jour ouvré, tandis que pour d'autres, comme Lafayette, le ROI se situe à 4 téléconsultations par mois, le niveau se situant plutôt à 30 consultations par an pour Pharmavie. « Les offres commerciales que nous avons négociées, permettent à nos pharmaciens d'installer la téléconsultation pour un coût modique. À partir d'une quarantaine d'euros par mois, une pharmacie est en capacité de proposer ce nouveau service à ses patients et d'amortir rapidement ses coûts », indique Hervé Jouves, constatant que les pharmacies Lafayette qui ont mis en place la téléconsultation en ont effectué environ une quinzaine en trois mois.
Reste donc aux groupements à convaincre leurs adhérents que l'équation temps officinal/rémunération n'est pas insoluble. « Si l’on tient compte, d’une part, des aides gouvernementales intégrant l’aide à l’acquisition de matériel, l’aide à l’abonnement, les primes sur nombre de téléconsultations, et, d’autre part, la marge d’ordonnances générées, nous estimons que trois consultations par mois, soit environ 35 consultations par an permettent de rentabiliser ce service », affirme Patrick Rémond, directeur des réseaux « Les Pharmaciens associés ». LeaderSanté estime quant à lui que pour une installation d'un coût de 200 à 300 euros par mois, 4 téléconsultations par jour sont nécessaires pour obtenir un retour sur investissement. Même ordre de grandeur chez Giphar où, selon Jean-Baptiste de Coutures, « il faut réaliser entre 1 et 6 téléconsultations par jour ouvré afin de rentabiliser ce service en prenant en compte tous les centres de coûts (temps d’accompagnement des équipes, frais d’abonnement, immobilisation de l’espace) ainsi que tous les centres de profits (rémunérations prévues dans l’avenant 15, produits associés aux ordonnances) ».
Des bénéfices cachés
Plusieurs groupements remettent cependant en cause la rentabilité de la téléconsultation. Ou restent pour le moins attentistes. Un avis partagé par certains opérateurs (voir page 25). Les groupements, une nouvelle fois, endossent leur rôle de négociateurs, jouant de la mutualisation pour obtenir des tarifs préférentiels auprès des opérateurs. Avec en ligne de mire la gratuité, comme Excel Pharma qui annonce travailler à un modèle de télémédecine entièrement gratuit pour ses pharmacies dès 2021. « Nous envisageons de mettre en place l'année prochaine une plateforme médicalisée commune à nos adhérents, ce qui permettrait d'obtenir une solution gratuite. Ce modèle que nous finalisons permettra à nos pharmacies d'être à l'équilibre avec 2,5 consultations par mois. Ainsi, il leur en coûtera 0,00 euro dès la troisième consultation par mois », explique Laurent Toledano, président d'Excel Pharma. Autre membre du collectif Agir Pharma, PUC Pharma, considère quant à lui, que « le pharmacien n'a pas à payer pour travailler ». Le groupement propose donc de prendre à sa charge les frais d'équipements et de connexion à l'opérateur. « Le but est de permettre aux pharmaciens de déployer une solution efficace de télémédecine totalement financée par les aides des ARS et des CPAM », expose Didier Le Bail. En retour, le pharmacien reverse à son groupement les aides qu'il percevra auprès de l'assurance-maladie.
Une opération blanche en quelque sorte ? Pas du tout rétorquent certains groupements qui appellent à ne pas sous-estimer ce que la téléconsultation peut induire comme nouvelle activité. « Ce nouveau service est un vrai atout pour les pharmacies qui le proposent en termes d'image et de flux nouveaux de patientèle créés. Il rend l'accès aux soins beaucoup plus aisé et le patient peut être pris en charge quasiment dans la globalité de sa demande santé : un accès aux soins plus un accès aux médicaments et aux autres produits de la pharmacie », souligne Jérôme Escojido, codirigeant de Mediprix. L'avis est partagé par Pierre-Alexandre Mouret, directeur des opérations et de la stratégie chez PharmaVie, qui table sur une hausse substantielle de la consommation à l'occasion d'une téléconsultation.
Service différenciant dans un environnement souffrant de désertification médicale, la téléconsultation peut également contribuer à fidéliser une clientèle dont elle augmentera le panier moyen. Autre argument, la téléconsultation à l'officine est un rempart contre le nomadisme car le pharmacien est quasi assuré de délivrer l'ordonnance à l'issue de la consultation en ligne. Enfin, la question de la gratuité du service divise les groupements. Si certains, comme Alphega, estiment que le droit d'accès à la téléconsultation peut être facturé entre 5 et 10 euros, Pierre-Alexandre Mouret se positionne pour la gratuité, même si, bien entendu, le pharmacien reste libre de se faire payer ou non.