LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN.- Comment l’industrie du médicament se situe-t-elle par rapport au thème de campagne qui semble émerger pour l’élection présidentielle, produire et consommer français ?
CHRISTIAN LAJOUX.- Tout d’abord, si l’on ne consommait que des médicaments fabriqués en France, on se priverait de nombreuses molécules. Autant je suis favorable à la transparence de l’information sur les lieux des différentes phases de production du médicament, autant je suis extrêmement réservé sur tout ce qui pourrait ressembler à du protectionnisme. Pour autant, j’attire l’attention sur la nécessité de rappeler en permanence que la France est et doit rester un grand pays de production du médicament. Il ne faut pas perdre de vue que le médicament est un produit issu de hautes technologies, à la fois dans la phase de recherche et dans la phase de production, et que les industries de haute technologie occupent une partie importante du territoire et contribuent de façon significative à l’économie du pays. Il est important pour nous de préserver ce tissu industriel du médicament en France. Et, dans le même temps, notre industrie a une dimension internationale, y compris les petites et moyennes entreprises. La France a la capacité d’affronter la compétition internationale en termes de production, à condition que les autorités intègrent les obligations environnementales dans la fixation du prix. On ne peut pas fermer les frontières à la circulation du médicament. On ne peut pas, d’un côté, revendiquer être un grand pays exportateur de médicaments, ce qui est le cas de la France, avec un solde commercial positif de 7 milliards d’euros, et, dans le même temps, dire qu’il ne faudrait consommer que des médicaments produits en France. Donc, souci d’information, oui, mais pas de protectionnisme.
La qualité des matières premières utilisées pour la fabrication des médicaments est parfois remise en cause, notamment en raison de leur provenance de certains pays d’Asie. Ces craintes sont-elles, selon vous, fondées ?
Les entreprises qui s’approvisionnent en Asie ou ailleurs doivent contrôler la qualité des matières premières. Prenons le cas du paracétamol, par exemple. C’est le laboratoire qui vend le paracétamol qui est le garant de la qualité du produit qu’il commercialise en produit fini. Le contrôle s’effectue in situ, dans les pays concernés, avec des audits et des inspections de la qualité des matières premières, et puis les entreprises doivent également s’efforcer de sécuriser les circuits d’approvisionnement et de distribution pour éviter notamment l’introduction de falsification lors des transferts. Il y a donc un double contrôle : celui qui est organisé dans certains pays lointains, pour ne pas stigmatiser tel ou tel, et celui qui est de la responsabilité du laboratoire qui commercialise le médicament. Bien sûr les achats sur Internet, le commerce parallèle, les déconditionnements ou déblistérisation sont tout autant des sources de crainte en matière de sécurité sanitaire pour le patient.
La crise de confiance envers le médicament, consécutive à l’affaire Mediator, est-elle selon vous durable, et comment y remédier ?
La crise de confiance, beaucoup en parlent et peu la mesurent. Le LEEM sera en mesure, dans quelques semaines, de donner l’état de confiance réel de la population à l’égard du médicament et de son industrie, grâce à notre observatoire sociétal. Au mois de mars 2011, une première étude de cet observatoire montrait que, au plus fort de la crise du Mediator, 82 % des Français faisaient quand même confiance au médicament. L’étude bousculait donc un certain nombre de clichés et d’idées reçues. J’ajoute que, dans la même étude, près de 75 % des Français considéraient que le progrès thérapeutique proviendrait uniquement de l’industrie du médicament. La crise de confiance dont on parle a été amplifiée par certains médias. La maman d’un enfant qui se bat contre une leucémie ou un malade souffrant d’un cancer du côlon ne manifestent aucune crise de confiance à l’égard du médicament. Les malades savent que c’est le médicament qui va les sortir d’affaire. Plutôt que de crise de confiance, expression largement instrumentalisée, je parlerais plutôt d’une interrogation légitime. Les citoyens veulent savoir comment cela se passe dans les coulisses du médicament, et ils nous appartient, en tant qu’industriels, de l’expliquer. La loi renforçant la sécurité sanitaire des médicaments et des produits de santé, qui vient d’être votée, apporte dans ce cadre un certain nombre de réponses auxquelles nous adhérons totalement, sur la transparence des liens entre les industriels et les professionnels de santé, sur le renforcement de la sécurité sanitaire, avec des procédures de pharmacovigilance beaucoup plus exigeantes et un meilleur contrôle des médicaments mis sur le marché. Dans l’affaire du Mediator, un certain nombre d’ingrédients ont amplifié l’émotion : la personnalité du laboratoire et le fait qu’il s’agissait d’un médicament prescrit hors AMM. Mais, selon moi, la mutation nécessaire de l’industrie du médicament aujourd’hui n’est pas liée à Mediator, qui n’a été qu’un accélérateur de prise de conscience.
Où en sont vos relations avec les pharmaciens d’officine, qui vous reprochent notamment d’avoir défendu, à leur détriment, la mise en place des grands conditionnements ?
Nos relations avec les pharmaciens d’officine sont bonnes, mais, comme dans toutes les familles, il y a de temps en temps des disputes. Concernant les grands conditionnements, il ne faut pas que les pharmaciens d’officine se trompent de cible. Ce ne sont pas les industriels qui ont exigé les grands conditionnements. C’est le ministre de la Santé, à l’imitation de tous ses grands voisins européens. Les industriels n’ont fait que répondre à une volonté des pouvoirs publics, afin de réaliser des économies. J’ajoute que si les industriels n’avaient pas obtempéré, ils auraient été sanctionnés par le comité économique des produits de santé.
Comment voyez-vous l’avenir de l’industrie pharmaceutique avec, en particulier, l’émergence des médicaments issus des biotechnologies ?
On est en train de passer d’un médicament de masse à un médicament beaucoup plus personnalisé et ciblé. Avec les blockbusters, qui étaient essentiellement des médicaments chimiques, on a répondu à de nombreux besoins qui n’étaient pas satisfaits à l’époque. Ils ont permis de faire des progrès énormes dans le domaine de l’hypertension, d’un certain nombre de maladies psychiatriques, du cholestérol, etc. Nous sommes aujourd’hui dans une approche beaucoup plus spécifique. Le corollaire du développement des biotechnologies est une médecine beaucoup plus individualisée. C’est un virage extrêmement important. Nous sommes actuellement dans une phase de transition. Nous continuerons demain à avoir des médicaments d’origine chimique, parallèlement au développement des biotechnologies, mais ce ne seront plus des blockbusters. Cette nouvelle approche va nous permettre de progresser, entre autres, dans le traitement des maladies de la dégénérescence et du vieillissement, de la maladie d’Alzheimer ou de certains cancers.
La France est-elle prête à ce virage vers les biotechnologies ?
Il y a en tout cas des signaux forts qui vont dans ce sens. Le fait que Sanofi rachète Genzyme, un des leaders mondiaux des biotechnologies et des maladies orphelines, ou que l’entreprise transforme une importante usine chimique à Vitry-sur-Seine en usine de biotechnologies montre une inflexion. Autre exemple, GSK investit 600 millions d’euros dans une usine de vaccins à Saint-Amant-les-Eaux. Le développement d’une entreprise française comme le laboratoire français de fractionnement et des biotechnologies (LFB), qui signe des accords de partenariats avec des laboratoires nationaux et internationaux, montre qu’il y a une volonté d’accélération dans la prise du virage. Je compte beaucoup sur le prochain comité stratégique des industries de santé (CSIS), qui doit se réunir fin janvier, pour donner un élan déterminant au développement des biotechnologies sur le territoire.
Le journal de 20 heures de TF1 a récemment diffusé un reportage tendant à démontrer que le prix des médicaments en France est plus cher que dans les autres pays européens. Comment réagissez-vous ?
C’est de la désinformation, que l’on parle de prix fabricant ou de prix public. Le prix du médicament en France, et c’est l’assurance-maladie qui le dit, se situe dans la moyenne basse européenne. Quant aux médicaments d’innovation, ils sont plutôt moins chers en France que dans les autres grands pays voisins. D’ailleurs, si notre pays est confronté à un phénomène d’exportations parallèles, qui produit parfois des ruptures d’approvisionnements ponctuelles, c’est bien la preuve que le prix des médicaments est moins élevé en France qu’il ne l’est sur de nombreux autres marchés européens.
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