« L’INDUSTRIE pharmaceutique est en panne d’innovation, les nouvelles molécules sont rares, le marché stagne. Dans ce contexte, le développement de la médication familiale peut être un relais de croissance », explique le Pr Luc Grislain**, en introduction du 6e Forum du GIPSO qui s’est déroulé à Talence (Gironde), le 9 décembre. Les industriels aquitains du médicament croient d’autant plus à la médication familiale que ce marché semble avoir, en France, de belles perspectives de développement. En effet, l’automédication ne représente, chez nous, que 15,7 % du marché du médicament, contre 39,7 % Allemagne, 38,5 % aux Pays-Bas, 39 % en Grande-Bretagne, 42,2 % en Suède.
Mais d’importants obstacles demeurent. À commencer par la culture du patient français, habitué à ne pas payer ses médicaments ; ou la mauvaise image des médicaments sans ordonnance, en partie liée aux déremboursements pour SMR insuffisant. Les intervenants au Forum du GIPSO ont également souligné le nombre trop limité de produits proposés en libre accès, bien inférieur à celui disponible dans les pays voisins. D’où un nécessaire délistage de nouveaux produits : antibiotiques pour traiter les infections urinaires, triptans contre la migraine…
La sécurité passe par l’officine et le DP.
Mais prendre en charge sa propre santé n’est pas sans risque. C’est pourquoi tous les participants au Forum ont insisté sur deux aspects essentiels : le rôle incontournable du pharmacien d’officine comme garant de la sécurité, et la nécessaire inscription au dossier pharmaceutique des produits achetés en médication familiale. Un chantier dans lequel l’AFIPA*** et l’Ordre se sont engagés de façon volontariste : « Nous sommes prêts à assurer cette mission et faire passer le message auprès de nos confrères », souligne Gérard Deguin, vice-président du conseil régional de l’Ordre des pharmaciens d’Aquitaine ; région où l’on compte 1,94 million de DP pour 3,3 millions d’habitants.
La progression de la médication familiale est aussi un enjeu économique pour l’officine, comme l’explique Daphné Lecomte Somaggio, déléguée générale de l’AFIPA : « L’automédication représente en moyenne 9 % de la marge de l’officine, son développement pourrait constituer un important appel d’air pour les pharmacies en difficulté. » Sans compter les avantages pour la collectivité : diminution des dépenses de la Sécurité sociale, désengorgement des urgences et des cabinets médicaux… Un point qui semble faire évoluer les médecins. Jadis farouches adversaires de la médication familiale, ils semblent aujourd’hui prêts à jouer le jeu : « Dans un département comme le mien, le Lot-et-Garonne, en proie à la désertification médicale, les généralistes ne sont pas opposés au développement de l’automédication », reconnaît Gérard Deguin.
Chez Leclerc ?
Et pourquoi pas le développement de la médication familiale hors de l’officine, dans les pharmacies Leclerc ? La question iconoclaste a été posée de façon indirecte : « En Grande-Bretagne, les GMS vendent du paracétamol, sans conseil, quel est l’impact sur la santé publique ? » Universitaires et industriels sont convenus qu’aucune étude rigoureuse de pharmacovigilance ne tranche vraiment la question. Néanmoins le récent retrait du paracétamol des GMS de Suède et les interrogations britanniques à ce sujet, semblent apporter un élément de réponse. « Mais l’argument le plus important pour la sécurité du patient, est l’indépendance de la pharmacie d’officine, souligne Catherine Maurain, professeur émérite à l’université de Bordeaux. Les pharmacies Leclerc ne seront pas détenues par des pharmaciens. Tout est là ! »
Quant au dernier argument en faveur des GMS, le prix, il est rejeté par toutes les études : le médicament français est l’un des moins chers d’Europe. « En France, le marché de l’automédication représente 34 euros/an/personne, indique Daphné Lecomte Somaggio. Les économies réalisées par la vente en grandes surfaces représenteraient moins d’un euro par personne et par mois. Pourquoi mettre à mal tout un système pour cela ? »
Un nouveau parcours de soins.
Le développement de la médication familiale passera donc par l’officine et par elle seule ! Mais, Catherine Maurain va plus loin : « Pourquoi ne pas envisager que demain, le petit risque soit pris en charge par le patient, en fonction de ses revenus ? » C’est un nouveau parcours de soin qui se dessinerait alors. Avec comme point d’entrée le pharmacien, en charge de la dispensation de la médication familiale et de l’orientation du patient.
Mais cette évolution, se heurte à la méfiance des pouvoirs publics, craignant l’émergence d’un système à deux vitesses. En effet, dans un pays où des millions de personnes (chômeurs, précaires, étudiants, retraités) négligent déjà leur santé, malgré la CMU, comment se traduirait l’abandon total du remboursement du petit risque ? Davantage de négligence débouchant sur des pathologies plus sévères, prises en charge plus tard par la collectivité ou les services d’urgences ?
Pourtant, des pistes de remboursement de la médication familiale par la Sécurité sociale ou les complémentaires ont été évoquées ; des tests ont même été réalisés, mais pour des enseignements bien minces. Voilà donc un domaine dans lequel il serait urgent de faire preuve d’imagination.
Quoi qu’il en soit, le développement de la médication familiale se fera, affirme Laurent Renaudie, directeur commercial santé grand public chez Sanofi : « En France, les évolutions sont peut-être plus longues qu’ailleurs, mais elles se font. Rappelons-nous, personne ne croyait au développement des génériques. »
**Directeur du Laboratoire de Technologie pharmaceutique industrielle, UFR des Sciences pharmaceutiques, université de Bordeaux.
***Association française de l’industrie pharmaceutique pour l’automédication responsable.
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