SELON une analyse de la CNAMTS portant sur les prix des génériques pratiqués en Europe entre 2007 et 2011, le prix moyen par unité de prise serait de 15 centimes d’euros en France, contre 12 centimes chez nos voisins allemands et 7 centimes au Royaume-Uni et aux Pays-Bas. Une action sur les prix est un levier puissant d’économies pour l’Assurance-maladie qui plaide dans ce sens. Les arguments sont séduisants, et selon la CNAMTS, si la France s’alignait sur le prix allemand, le gain potentiel serait de 390 millions d’euros par an. Présenté ainsi, le générique français semble donc trop cher. Mais la question mérite d’être approfondie, et il importe de savoir quelles seraient les conséquences d’une politique visant à réduire les prix au maximum. Car le prix n’est pas le seul paramètre à prendre en considération. Les auteurs du rapport de l’IGAS (Inspection générale des affaires sociales) ont d’ailleurs souligné l’importance de prendre en compte les enjeux industriels du secteur du médicament, « en termes de recherche-développement et de localisation d’activités », sous-entendu le risque de délocalisation.
Une comparaison délicate.
On ne peut comparer que ce qui est comparable, ce qui rend l’analyse des prix observés en Europe compliquée et délicate. « Un prix n’a pas de sens si on le sort de son contexte. En Europe, les produits ne sont pas comparables d’un pays à l’autre ; ils n’existent pas sous le même dosage, la même galénique. Le système de fixation de prix et les conditions de productions diffèrent. En outre, le prix seul n’a pas la même signification que le prix pondéré par le volume des ventes. Si on considère un produit dont le prix est élevé, mais dont les volumes de vente sont faibles, l’impact sur la dépense est moindre, par rapport à un médicament cher et très vendu », explique Claude Le Pen, professeur d’économie à l’université Paris-Dauphine. Autrement dit, le prix pondéré par le volume est beaucoup plus significatif de la dépense.
Le régulateur, l’assureur et le fabricant.
Des pays comme l’Allemagne, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, souvent présentés comme des modèles économiques intéressants, ont choisi d’établir des procédures d’appel d’offres. Les acheteurs, c’est-à-dire les assureurs, mettent en concurrence les génériqueurs pour faire baisser les prix. « Dans ces pays, à la différence de la France, ce sont les acheteurs qui décident. Les prix fléchissent, mais le système est dévastateur. Des génériqueurs sont exclus du marché, des délocalisations sont opérées pour produire moins cher ; le marché se concentre et le risque de ruptures de stocks est accru », analyse Claude Le Pen. Des conséquences qui amènent à s’interroger sur la politique de prix à mener. « Le moins cher n’est pas nécessairement la meilleure solution et les conséquences peuvent être à l’origine de surcoûts indirects. En France, le système est différent et l’organisme payeur n’est pas celui qui fixe les prix. Cette responsabilité revient à un organisme d’État indépendant, le CEPS (comité économique des produits de santé), dont la fonction de régulateur n’est pas celle qui consiste à acheter au meilleur prix. Le régulateur, contrairement à l’acheteur, a une vision plus globale et est sensible à l’aspect économique et social ».
Un point de vue politique.
On comprend ainsi que l’intérêt de la collectivité n’est pas nécessairement d’avoir les prix les plus bas. Pour Claude Le Pen, il est essentiel de « savoir de quel point de vue on se place » : celui du fabricant, celui de l’assureur, ou celui de la collectivité ? Dans ce dernier cas, le prix est un élément à considérer parmi d’autres, tel que le développement ou le maintien du tissu industriel et de l’innovation. « Si on veut développer le tissu industriel, il faut s’en donner les moyens, quitte à payer un peu plus cher. C’est un choix politique. En France, le développement du marché du générique s’est accompagné d’un développement des groupes pharmaceutiques, des sous-traitants et des façonniers. Plusieurs dizaines de milliers d’emplois ont été créées. Optimiser le coût de fabrication est nécessaire, mais cette démarche doit tenir compte des répercussions sur l’économie nationale. Finalement, jusqu’où l’équilibre de la Sécurité sociale est-il dépendant ou indépendant de l’économie générale ? C’est la question que doivent se poser les pouvoirs publics », conclut Claude Le Pen.
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