Un retour pour de bon
C'est le moins que l'on puisse dire, la dispensation à l'unité (DAU) est l'arlésienne de la profession. Un projet maintes fois brandi et autant de fois écarté. Depuis son expérimentation en 2014, la DAU s'était fait oublier jusqu'à ce qu’Emmanuel Macron – entre autres – l'ajoute à ses promesses de campagne en 2017. Deux ans plus tard, elle réapparaissait sous forme de texte dans la loi AGEC (antigaspillage économie circulaire)* pour une mise en application au 1er janvier 2022.
Cette mesure destinée à « éviter le gaspillage de médicament » n'est pas une inconnue pour les pharmaciens puisqu'elle a fait l'objet, il y a sept ans, d'une étude en vie réelle auprès de cent d'entre eux, dans quatre régions. Elle concernait alors 14 antibiotiques présentés sous forme orale sèche (comprimé, gélule, poudre pour solution ou suspension buvable en sachet-dose). La DAU laisse cependant dubitative l'Académie de pharmacie qui rappelait en 2020 que « ce nouveau concept dont l’intérêt (…), tel qu’il ressort de l’expérimentation sur les antibiotiques, ne s’est pas avéré concluant » et qu'il « imposerait à l’officine une charge accrue de travail, une nouvelle organisation coûteuse en temps et en matériel pour assurer les opérations supplémentaires de préparation, de découpage et de reconditionnement, au risque aussi de pénaliser le patient en rallongeant son temps d’attente ».
De nombreuses questions en suspens
Des craintes partagées par la grande majorité des officinaux tant la DAU suscite de nombreuses questions pratiques : comment assurer la pharmacovigilance et la traçabilité des médicaments délivrés à l'unité ? Faut-il à chaque fois reproduire et joindre au traitement la notice d'emploi ? Et de manière plus prosaïque, que faire lorsque le patient perd un comprimé ? Les textes de l'arrêté et du décret en préparation, dont « le Quotidien du pharmacien » a pu avoir connaissance, répondent à une grande partie de ces questions. Il est ainsi prévu que l'étiquette apposée sur le conditionnement secondaire mentionne le nom de la spécialité pharmaceutique, le dosage et la forme pharmaceutique, son destinataire, « nourrisson », « enfant » ou « adulte », la ou les DCI, la date de péremption, le numéro de lot (...) la posologie ou encore la date de délivrance et le nombre d’unités délivrées. Par ailleurs, le pharmacien doit fournir au patient les modalités d’accès à la notice dématérialisée ou, à sa demande, lui remettre une notice imprimée.
Il n'empêche l'application de la dispensation à l'unité dans moins de deux mois ravive les inquiétudes de la profession. En témoignent les commentaires sur le site du « Quotidien du pharmacien » (voir encadré).
Les antibiotiques visés
Les quelques exemples de pays qui pratiquent la vente à l'unité, tels la Grande-Bretagne, les États-Unis, ou plus proches de nous, la République tchèque et les Pays-Bas (voir sous-papier), démontrent que l'éventail de ces spécialités peut être large. Dans un premier temps, la France compte limiter la DAU aux antibiotiques. C'est ce que souligne le projet d'arrêté qui porte exclusivement sur les spécialités de la classe pharmacothérapeutique des antibactériens à usage systémique pouvant être soumises à une délivrance à l’unité. La liste de ces molécules sera définie ultérieurement par un arrêté des ministres chargés de la Santé et de la Sécurité sociale.
Une option qui interroge les pharmaciens, le conditionnement des traitements antibiotiques étant généralement déjà ajusté à la durée de la prescription. Sur ce point, les officinaux, réfractaires à la mesure, renvoient la balle dans le camp de l'industrie pharmaceutique ; à l’instar de Pierre-Olivier Variot, président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO). Émettant de fortes réserves face à la DAU, il estime qu'elle « affranchirait les industriels et les prescripteurs des recommandations thérapeutiques en vigueur et ajouterait des tâches logistiques aux pharmaciens ».
Compatible avec la sérialisation ?
Autre mesure applicable en 2022, la sérialisation sera-t-elle une difficulté supplémentaire dans la perspective d'une délivrance à l'unité ? Pas sûr, à observer l'expérience néerlandaise. Aux Pays-Bas, les officinaux pratiquaient la dispensation à l'unité bien avant l'entrée en vigueur de la directive européenne de février 2019. Or dans la pratique, la concomitance des deux tâches - sérialisation et DAU - ne semble pas engendrer de difficultés particulières. Comme le décrit l'organisation des pharmaciens néerlandais (KNMP), interrogée par « le Quotidien du pharmacien », « si une boîte doit être partiellement délivrée, elle sera désenregistrée auprès du système national (NMVS) avant ouverture. Après cela, le code 2D ne devra plus être scanné, ce qui, sinon, provoquerait une fausse alerte ». La pratique expérimentée au Pays-Bas rejoint la solution préconisée par Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). « Il suffira de décommissionner la boîte lors de la première ouverture pour désactiver le système et ainsi en contrôler la conformité », considère-t-il.
Chronophage et donc rémunérée
La DAU suppose cependant l'élaboration d'un nouveau mode opératoire à l'officine. Elle induit en effet des manipulations supplémentaires, mais aussi un process différent dans le circuit du médicament qui n'échapperont pas à la démarche qualité à l'officine. « La DAU fera l'objet d'un nouvel outil dans le manuel qualité dès lors qu'elle sera validée dans la convention. Pourquoi pas dans la V13 de notre manuel qualité ? », suggère Lætitia Hible, présidente de Pharma Système Qualité, précisant qu'une nouvelle version est éditée chaque année en juillet.
En tout état de cause, Philippe Besset, l'un des partenaires des négociations conventionnelles en cours, tient à ce que la DAU relève strictement du choix officinal. « Le pharmacien ne l'appliquera que s'il l'estime nécessaire, par exemple, si la prescription médicale n'équivaut pas au boîtage, ou s'il n'existe aucun conditionnement correspondant », expose-t-il, précisant que des travaux sur ce point sont en cours avec l'ANSM. Mais une chose est sûre pour le président de la FSPF, « les pharmaciens n'adopteront la DAU que s'ils sont rémunérés pour l'effectuer », affirme-t-il. Une rémunération qu'il convient désormais d'inscrire à la convention.
* Article 40 de la loi du 10 février 2020 relative à la lutte contre le gaspillage et à l'économie circulaire et article L. 5123-8 du code la santé publique.