L’assurance-maladie espérait 400 000 BPM réalisés en 2018. Il y en a eu 20 000. Un résultat « en deçà de nos attentes », reconnaît le directeur de la CNAM, Nicolas Revel. Mais qui s’explique aisément selon les syndicats. « Ce sont les pharmaciens les plus militants qui font le travail malgré l’adversité de l’informatique. Pour que cette mission puisse se déployer, il faut que ce soit simple, ergonomique et donc intégré au logiciel métier », remarque Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF).
Il est aussi nécessaire de « révolutionner la facturation », ajoute-t-il. Une remarque exprimée par les deux syndicats et entendue par l’assurance-maladie. Courant 2020, les actuelles ROSP vont disparaître au profit d’une facturation au parcours de soins pour l’ensemble des entretiens pharmaceutiques mis en place (AVK, AOD) et à venir (chimiothérapie orale), ainsi que pour les bilans partagés de médication (BPM). Cette modification devrait supprimer les nombreux problèmes rencontrés pour le paiement des entretiens jusqu’alors et rendre le processus plus transparent. Mais elle nécessite une modification législative qui devrait intervenir dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2020, puis la création de la codification pour chacun des actes.
Communication
En attendant, les pharmaciens adjoints sont particulièrement en pointe sur la réalisation des BPM. Si la formation n’est pas obligatoire, elle reste fortement recommandée. « La moitié de la profession s’est formée », remarque Philippe Besset. Les bilans sont maintenant intégrés à la formation initiale des pharmaciens. C’est ainsi que Pauline Briard a été amenée à mettre en place les BPM dans l’officine qui l’accueillait pour son stage de 6e année, de janvier à juillet 2018. « Le thème est imposé par la faculté et en même temps la titulaire avait prévu de lancer ces bilans partagés de médication », se souvient la jeune femme, désormais ajointe dans la pharmacie où elle a fait son stage et mis en place les BPM, à Saint-Just-en-Chaussée (Oise). Convaincue que la communication et l’implication de chacun sont la clé de la réussite, Pauline Briard commence par présenter les BPM à l’ensemble de l’équipe.
« Chacun d’entre nous doit pouvoir expliquer aux patients de quoi il s’agit de A à Z, c’est essentiel pour repérer et recruter les personnes éligibles », précise Pauline Briard. En second lieu, il est indispensable de s’adresser aux médecins dont la pharmacie reçoit régulièrement les patients et les ordonnances. « C’est facile dans notre cas car la pharmacie est située à côté d’une maison de santé. Nous avons pu présenter la démarche des BPM lors d’une réunion d’équipe et nous avons décidé tous ensemble du canal à utiliser pour communiquer, en l’occurrence la messagerie sécurisée. » Une seconde intervention aura lieu quelques mois plus tard, après que l’officine a repéré des prescriptions potentiellement inappropriées, pour en discuter avec les médecins. « La démarche est bien accueillie. Certains prescripteurs répondent à chaque communication et nous remercient pour les informations fournies, d’autres ne répondent pas mais on constate une évolution de leur prescription, enfin quelques autres sont plus réfractaires », remarque Pauline Briard.
80 BPM en 2 ans
Amandine Cambon, 25 ans, est adjointe à 20 % dans une pharmacie rurale de Lacaune-les-Bains (Tarn) depuis deux ans et demi, et à 80 % à la coordination du réseau ville-hôpital d’enseignement et d’innovation pour la pharmacie d’officine (REIPO) de Toulouse. Le déploiement des bilans partagés de médication est l’un des objectifs prioritaires du REIPO, qui propose un accompagnement des pharmaciens d’officine par les confrères hospitaliers. Amandine Cambon aussi s’est lancée dans la mise en place des BPM dans l’officine qui l’accueillait pour son stage de 6e année. « J’ai eu la chance d’avoir des titulaires qui ont cru en moi et d’avoir dans mes bagages une formation initiale sur l’optimisation thérapeutique chez le sujet âgé. » Aujourd’hui la jeune femme réalise les entretiens de recueil ainsi que certains entretiens de suivi dans l’espace de confidentialité de l’officine.
Amandine Cambon se charge également des analyses pharmaceutiques et de la synthèse à rédiger à l’intention du médecin. Toute l’équipe a été formée au recrutement des patients et au suivi de l’observance. « Dans le cadre de la convention, il est prévu que l'on réalise un suivi d'observance la première année et jusqu'à deux suivis d'observance les années suivantes. Mais dans les faits, le suivi se fait à chaque délivrance grâce à notre logiciel métier. » Résultat : elle a réalisé 80 BPM en 2 ans ! Et se rend compte du chemin parcouru entre les premiers entretiens et ceux qu’elle mène aujourd’hui. Avec l’expérience, elle repère facilement un défaut d'observance, une problématique de tolérance médicamenteuse et creuse l’information en conséquence. De même, en préparant les entretiens en amont, elle a appris à gagner du temps et à garder la main sur la conduite du BPM. C’est aussi le cas de Pauline Briard, même s’il lui semble difficile de mener un entretien en 20 minutes : « En général le premier entretien dure 45 minutes, l’analyse pharmaceutique prend autant de temps. »
Respect et bienveillance
Les synthèses pour le médecin ont aussi évolué, elles sont plus structurées. « Nous les présentons sous forme de tableaux à la demande des médecins », explique Amandine Cambon, qui insiste à son tour sur la relation de confiance à mettre en place aussi bien avec le patient qu’avec les prescripteurs. « Il est nécessaire de présenter notre travail et l’utilité des BPM en amont. Les médecins peuvent nous fournir des informations fiables, notamment sur les antécédents du patient, ce qui est d’autant plus primordial que le DMP n’est pas encore pleinement opérationnel. Les échanges se sont grandement facilités, les médecins n’hésitent plus à nous solliciter pour nos compétences sur le médicament ; c’est valorisant. » Globalement, les interventions pharmaceutiques sont bien acceptées et l’équipe constate régulièrement des améliorations : baisse de l’utilisation des benzodiazépines, meilleure prise en compte de la fonction rénale, arrêt de prescription de certains antiagrégants plaquettaires chez des patients ayant eu un événement cardiovasculaire il y a plus d’un an… Les exemples ne manquent pas.
De même, la relation de confiance avec le patient est renforcée. Pour Pauline Briard, le rapport évolue après le premier entretien et tous les patients ayant accepté de réaliser un BPM en sont très contents. « Nous ne recrutons pas toutes les personnes éligibles. Nous commençons toujours par expliquer que le BPM est fait en collaboration avec leur médecin, mais certains patients n’y sont pas ouverts », précise la jeune femme. Une précaution sur laquelle insiste également Amandine Cambon. « Et il est tout aussi indispensable de ne jamais discriminer le médecin devant le patient ou l’inverse. La clé de la réussite du projet repose sur le respect et la bienveillance. »
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