Dans son officine de Blagnac, près de Toulouse, Laurent Filoche, président de l'Union des groupements de pharmaciens d'officine (UDGPO), a reçu depuis la fin de l'année dernière de nombreux patients venus avec le même objectif. Souffrant de symptômes caractéristiques des virus hivernaux, ces derniers veulent savoir s'ils ont le Covid, la grippe ou un simple rhume. « Le TROD combiné grippe/Covid permet au patient d'être fixé en un seul test, cela a donc un vrai intérêt sur le plan du diagnostic, estime Laurent Filoche. Un seul prélèvement suffit, donc c'est bien plus confortable pour les patients. Désormais, la question que l'on se pose c'est pourquoi la Haute Autorité de santé bloque et ne donne pas un avis favorable pour leur prise en charge. »
Si les TROD Covid sont bien sûr pris en charge (sauf pour les personnes non vaccinées contre le Covid) ce n'est pas les cas des TROD grippe/Covid. Lorsqu'ils réalisent ces TROD, les pharmaciens décident souvent de le facturer comme s'il s'agissait d'un TROD Covid simple. « En gros, on offre le test grippe et cela n'est pas normal, regrette Laurent Filoche. À l'achat, les tests combinés sont deux fois plus chers que les tests Covid. » Par conséquent, des officinaux proposent donc aux patients de réaliser d'abord un test Covid, puis d'aviser selon le résultat, quitte donc à faire deux tests au lieu d'un seul. « À mon sens, c'est plus logique de ne faire qu'un seul test, donc le test combiné. Il faudrait autoriser leur prise en charge mais sur une période limitée, seulement quand les virus grippaux circulent », pense-t-il.
Les syndicats demandent la prise en charge des TROD grippe et des TROD combinés
Récemment, l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO) a « demandé avec insistance à la HAS qu’elle se positionne sur la réalisation et la prise en charge
de ces tests combinés ». Le syndicat souhaite notamment la mise en place d’une
« procédure accélérée afin de répondre à l’urgence de la triple épidémie (Grippe/Covid/VRS, NDLR) ». Pour le président de l’USPO, Pierre-Olivier Variot, la labellisation de ces tests permettrait également d’effectuer une veille. « Nous serions prêts à renseigner les résultats grippe sur la base », promet Pierre-Olivier Variot. De son côté, la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) a également plaidé pour la prise en charge des TROD grippe. « Dans le contexte actuel de circulation active des virus grippaux, la prévention de la propagation de l’épidémie grippale est un enjeu majeur, particulièrement pour les personnes vulnérables. La prise en charge des TROD de la grippe (constituerait donc) une mesure de santé publique indispensable », argue le syndicat.
Quid des autotests combinés grippe/Covid ?
La possibilité de prendre en charge les TROD duplex (grippe/Covid) et triplex (Grippe/Covid/VRS) fait bel et bien l'objet d'une évaluation par la Haute Autorité de santé (HAS) suite à une saisine de la Direction générale de la santé (DGS). En revanche, comme l'a reconfirmé la HAS au « Quotidien du pharmacien », les autotests combinés grippe/Covid sont aujourd'hui interdits en France et leur évaluation n'est pas à l'ordre du jour. En matière d'autotests, seuls ceux pour le Covid sont aujourd'hui autorisés (et pris en charge pour les enfants cas contact, les aidants et les enseignants). « Le pharmacien peut dispenser un TROD combiné grippe/Covid à un médecin mais ensuite le test doit impérativement être fait par le professionnel de santé, confirme Joseph Coulloc'h, P-DG du fabricant AAZ. Nous avons aussi développé un test combiné grippe/Covid pour les enfants de plus de 6 ans. Ce test permet à l'enfant de faire le prélèvement lui-même, mais, là encore, uniquement sous la supervision d'un professionnel de santé », précise-t-il. AAZ essaie actuellement d'obtenir le marquage CE pour un autotest combiné grippe/Covid. Néanmoins, « on ne pourra pas le vendre en France tant que les autotests grippe/covid seront interdits par le ministère de la Santé », explique Joseph Coulloc'h.
Oren Bitton, directeur général délégué de Biosynex a, lui, des doutes sur la pertinence de développer des autotests pour la grippe. « En autotest, il s'agirait d'un prélèvement nasal et non nasopharyngé. Il faudrait donc que le patient ait beaucoup de virus pour que cela soit détecté. Le TROD combiné c'est un prélèvement nasopharyngé, donc on maximise les chances de trouver le virus. Il est réalisé par un professionnel de santé qui sera naturellement plus en capacité d'interpréter le résultat. » Même s'ils ne sont pas autorisés, les autotests grippe/Covid sont parfois proposés par des importateurs sur les réseaux sociaux. « J'ai vu des propositions vraiment grotesques, explique Oren Bitton. Des groupements de pharmaciens m'ont d'ailleurs appelé car ils étaient étonnés par certaines propositions qui leur ont été faites. » Le pharmacien doit notamment être vigilant car si certains produits, notamment fabriqués en Chine, bénéficient du marquage CE, cela n'est en rien un gage de fiabilité. « En Chine, ils arrivent à obtenir le marquage CE très vite, contrairement à l'Europe, mais on ne sait pas où et comment sont faites les études », met en garde Oren Bitton.
Ces tests combinés sont-ils pertinents ?
Dans un avis daté du 21 octobre 2020, la HAS avait défini les conditions dans lesquelles elle estime qu'il y a un intérêt à rechercher un ou plusieurs virus des infections respiratoires hivernales (dont la grippe) en association avec une recherche du SARS-CoV-2 (avis alors basé sur les tests multiplex permettant de détecter simultanément plusieurs agents infectieux à partir d’un même prélèvement et avec la technique de type PCR). L'autorité sanitaire jugeait alors cette démarche pertinente « chez les seuls patients qui présentent des symptômes et pour qui le résultat sera utile pour déterminer la nature de la prise en charge et/ou un isolement particulier, soit : les adultes hospitalisés ou arrivant aux urgences, les résidents en EHPAD et les jeunes enfants. » En ville, « la recherche du SARS-CoV-2 et des virus grippaux par test antigénique chez les enfants présentant des symptômes d’une infection respiratoire est indiquée, notamment pour éviter le recours aux traitements antibiotiques si l’infection s’avérait d’origine virale », précisait en outre la HAS.
Ce qui est pertinent aujourd'hui ne le sera pas forcément l'an prochain
Reste à savoir maintenant si la HAS restera ou non sur la même position lorsqu'elle rendra son avis sur la prise en charge des tests combinés antigéniques. Pour Christine Rouzioux, professeur émérite de virologie et membre de l’Académie nationale de pharmacie, le cadre défini par la HAS est trop restreint. « Pour éviter qu'il y ait une débauche de tests, il faut cibler les populations pour qui ces tests peuvent être recommandés. Cela dit, les patients ont aussi le droit de savoir s'ils ont la grippe ou non. En médecine de ville, ces tests combinés devraient être proposés à tous les cas symptomatiques. Néanmoins je pense que deux tests séparés c'est mieux qu'un test global, estime Christine Rouzioux. Si le patient présente des symptômes, faire les deux tests se justifie, notamment parce que les cas de grippe asymptomatique sont extrêmement rares. »
La virologue appelle néanmoins à se montrer vigilant sur un point : la vérité d'un jour n'est pas forcément celle du lendemain. « Cette année est particulière, nous avons deux épidémies qui se chevauchent. Les industriels essaient donc de nous vendre des tests combinés. Ce double test peut être utile cette année, en revanche pas certain qu'il le soit dans les années à venir. La cinétique épidémiologique ne sera sûrement pas la même l'an prochain. Faire des recommandations définitives n'est donc pas simple. » La virologue rappelle enfin que la meilleure arme contre la grippe saisonnière, comme pour le Covid-19 au passage, ne se trouve pas au niveau des tests de dépistage, quels qu'ils soient. « Ce qui est le plus important c'est de renforcer la campagne de vaccination, ce qui n'est pas suffisamment fait aujourd'hui », regrette la scientifique.
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