Tout au long de la période de confinement, les pharmaciens ont été expressément invités à réserver les masques qu'ils avaient en leur possession au personnel soignant et aux patients les plus vulnérables. Avant le 23 mars ces masques étaient réquisitionnés par l'État. Le 30 avril, une note du ministère de la Santé est tombée, précisant que les stocks de masques importés après le 23 mars pouvaient bien être commercialisés. Dans la limite de 5 millions d'unités par trimestre et par entreprise, les officinaux avaient donc bel et bien le droit de vendre des masques à tous ceux qui en voulaient, à condition bien sûr d'avoir réussi à en obtenir.
Cette note du ministère a ému de nombreux officinaux, plus que frustrés de ne pas avoir pu répondre aux nombreuses demandes de leurs patients. Si les Français ont été nombreux à critiquer le gouvernement pour son incapacité à fournir des masques à l'ensemble de la population, pourraient-ils désormais s'en prendre aux pharmaciens sur le terrain judiciaire ? « Tout est possible, estime René Maarek, président de l'Union des pharmaciens de la région parisienne (UPRP). Maintenant qu'Emmanuel Macron a déclaré qu'il n'y avait jamais eu de rupture, des patients à qui l'on a refusé de vendre des masques et qui ont été malades, ou qui ont été touchés par un décès dans leur entourage, peuvent se sentir en colère et se retourner contre leur pharmacien. Je ne dis pas que cela va obligatoirement arriver, mais je préfère anticiper. » Préférant prévenir que guérir, René Maarek a d'ores et déjà mandaté deux avocats pour que ses confrères franciliens puissent être défendus s'ils venaient à faire l'objet de poursuites. « Il me semble important d'appréhender dès aujourd'hui ce qui pourrait arriver. Nous avons commencé à constituer un dossier solide pour regrouper l'ensemble des déclarations qui ont été faites sur ce sujet. On a joué le jeu du ministère mais est-ce que ce dernier nous défendra s'il y a un procès, rien n'est moins sûr », estime René Maarek. Si le président de l'UPRP a voulu agir dès aujourd'hui alors qu'aucune plainte n'a été enregistrée à ce jour contre un pharmacien qui aurait refusé de vendre un masque à un patient, c'est aussi et surtout à cause du caractère inédit et de la situation. Les poursuites judiciaires et leurs conséquences sont pour l'instant aussi imprévisibles que l'a été la progression du virus. « On peut aussi imaginer que des membres de l'équipe officinale, comme les préparateurs qui n'ont pas toujours pu bénéficier de masques, puissent avoir envie de porter plainte contre leur employeur s'ils considèrent que ce dernier n'a pas fait ce qu'il fallait pour les protéger », observe par ailleurs René Maarek.
Le risque de poursuites est-il réel ?
Éreintés par la crise du Covid-19, des officinaux pourraient-ils avoir à affronter l'épreuve du tribunal dans les prochains mois ? Avocate en droit de la santé au barreau de Paris, Me Cathie Paumier estime tout d'abord qu'une plainte venant d'un patient reste peu probable. « A priori, je ne pense pas qu'un patient pourrait poursuivre un pharmacien qui aurait refusé de lui vendre des masques. Premièrement si l'officinal n'en avait pas, on ne va pas pouvoir lui reprocher quoi que ce soit. De plus, les consignes au sujet de la distribution des masques n'étaient pas claires, il y avait les directives de l'État… si plainte il y a, je ne suis pas sûre que cela tienne devant la cour d'appel. » Me Paumier évoque tout de même un type de cas qui pourrait éventuellement amener un pharmacien à être inquiété. « Si un patient qui a voulu acheter des masques et n'a pas pu en obtenir apprend que l'officinal en a vendu à d'autres patients qui n'avaient pas de justification médicale, on pourrait alors mettre en avant une différence de traitement de la clientèle. Mais il faudra bien sûr le prouver. » Hormis une affaire impliquant un restaurateur parisien, aucune jurisprudence en rapport avec le Covid-19 n'existe à ce jour, tout domaine confondu, mais cela ne saurait tarder, selon Me Paumier. « Il y aura des décisions dans les semaines à venir. Des salariés vont attaquer leurs employeurs s'ils estiment qu'ils n'ont pas été suffisamment protégés. Il faudra alors prouver le lien de causalité entre l'infection et les conditions d'exercice, ce qui sera loin d'être évident. Si un titulaire est poursuivi par un préparateur, par exemple, il faudra prouver que ce dernier est bien en contact avec le public, et que l'employeur n'a pas fait tout son possible pour lui donner des masques. Si on démontre que le plaignant n'a pas respecté le confinement et s'est mis en danger en dehors du lieu de travail, cela pourra aboutir à un partage de responsabilité ; on considérera que la victime a concouru à son dommage et les deux parties pourront être condamnées à 50 % chacune », développe Me Paumier.
Président de France Assos Santé, Gérard Raymond a recensé une dizaine de témoignages de patients intrigués par l'impossibilité d'acheter des masques en officine. « Certains s'interrogeaient en effet, ils ne comprenaient pas trop pourquoi les pharmaciens ne pouvaient pas le faire. Mais aucune de ces critiques ne laissait entendre que des plaintes pourraient être adressées contre les pharmaciens, je ne pense pas que cela entachera l'image des officinaux, analyse-t-il. Aujourd'hui, ce sont plutôt les politiques qui sont visés par des poursuites judiciaires. » Le risque de plainte sur ce sujet semble tout simplement improbable aux yeux de Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). « Avant le 23 mars, les masques étaient réquisitionnés et il a souvent fallu attendre jusqu'à début mai pour recevoir ceux qu'on avait commandés ensuite. Comment pourrait-on évoquer un refus de vente alors que, pendant le confinement, les pharmaciens n'en avaient tout simplement pas ? Pour moi cela n'a absolument aucun sens », estime Philippe Besset.
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