Les valeurs de pression artérielle (PA) se décalent à la hausse partout dans le monde. Selon une étude publiée dans le « JAMA » à partir des données de la Global Burden Disease 2015 (GBD) du « Lancet », la PA a augmenté ces deux dernières décennies avec, en 2015, 3,5 milliards d’adultes ayant une PA systolique ≥ 110-115 mmHg et 874 millions ayant une PA systolique ≥ 140 mmHg.
La tendance est franche, dès le seuil de 110 mmHg considéré comme la valeur idéale et au-delà de laquelle il existe une augmentation du risque cardiovasculaire et de maladie rénale chronique. Les épidémiologistes ont pris soin de faire la distinction entre ce seuil suboptimal de PA et l’hypertension artérielle (HTA) définie par une PA systolique ≥140 mmHg.
Pour leur estimation, l’équipe de Christopher Murray et Mohammad Forouzanfar a utilisé les données de 844 études dans 154 pays, totalisant une population de près de 8,7 millions d’individus. « C’est ce qu’on peut faire de mieux, estime le Pr Pierre Boutouyrie, pharmacologue à l’hôpital Européen Georges Pompidou (AP-HP), et l’un des experts ayant participé à l’élaboration des récentes recommandations de la Lancet Commission sur l’HTA. Même s’il est souvent reproché à la métaanalyse de la GBD de colliger des études hétérogènes, ce sont de bonnes estimations qui ne se sont jamais trompées par le passé. Ces nouveaux chiffres sont en totale adéquation avec nos recommandations ».
Un tiers des événements en dessous de 140 mmHg
La mortalité et les années de vie perdues par incapacité (ou DALYs pour disability adjusted life-years) liées à la PA systolique ont augmenté avec plus de 10 millions de décès et plus de 212 millions d’années perdues en 2015, soit une augmentation sans ajustement de 40 % depuis 1990. Cinq pays concentraient plus de 50 % des années de vie perdues par incapacité par PA systolique ≥110 mmHg : la Chine, l’Inde, la Russie, l’Indonésie et les États-Unis. « C’est une véritable épidémie mondiale, qui explose dans les pays émergents et en développement », commente Pierre Boutouyrie.
Les causes les plus importantes de décès liés à la PA systolique étaient les maladies cardiaques ischémiques, les accidents vasculaires cérébraux (AVC) hémorragiques et les AVC ischémiques. Comme le font remarquer les auteurs, « même si la majorité des problèmes liés à la PA systolique est retrouvée chez des sujets hypertendus, près de 30 % sont survenus chez des individus ayant une PA systolique entre 115 et 140 mmHg ». Une PA systolique ≥ 110 mmHg était le principal facteur de risque de mortalité évitable
Des mesures de prévention très efficaces
Malgré des chiffres absolus à la hausse liés à l’augmentation de la population mondiale et à son vieillissement, les épidémiologistes arrivent à un constat étonnant déjà fait auparavant : proportionnellement, la mortalité cardiovasculaire liée à la PA systolique diminue. « C’est un constat universel, que l’on a du mal à comprendre, explique Pierre Boutouyrie. La mortalité cardiovasculaire augmente moins vite que la PA. Pourquoi ? La première explication repose sur l’amélioration de l’état de santé mondial, lié à un meilleur état nutritionnel, à un meilleur accès aux soins. Une autre explication est qu’il existe un décalage de temps entre l’élévation de la TA et les événements cardiovasculaires, qui ne se verront que dans 15-20 ans. Or il se trouve qu’il y a eu une baisse de la PA dans les années 1990-2000, c’est peut-être la raison à ce qu’on observe aujourd’hui ».
D’un point de vue thérapeutique, le seuil d’intervention n’est pas remis en question. « Le niveau de preuve pour traiter pharmacologiquement en dessous de 140 mmHg est faible, explique le Pr Boutouyrie. Mais il existe tout un éventail d’autres actions de prévention possibles ». Comme mentionné par les auteurs et développé dans les recommandations de la Lancet Commission, il s’agit de la prévention des autres facteurs de risque : surpoids, obésité, sédentarité, diabète, consommation de sel, tabagisme, etc. « Ces mesures sont très efficaces, souligne Pierre Boutouyrie. Dans une population où ces mesures sont appliquées correctement, la PA n’augmente pas avec l’âge, contrairement à l’idée reçue que le phénomène est inéluctable. C’est une prévention parfaite ».
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