Jérôme Cattiaux, titulaire à Cambrai (Nord), convient que le bilan partagé de médication est « chronophage, et intellectuellement compliqué pour les pharmaciens ». Mais il pense aussi que les pharmaciens n'existeront plus à court terme « s'ils continuent à vendre seulement des boîtes ». Il se dit donc « très déçu » de voir que si peu de confrères ont réalisé des bilans partagés de médication. On en dénombre environ 20 000 en 2018 sur les 400 000 escomptés par la Caisse nationale d'assurance-maladie. « C'est une très mauvaise image que nous renvoyons aux pouvoirs publics : ils peuvent, à juste titre, dire que nous voulons, mais ne savons pas faire. »
Il a lui-même réalisé 25 bilans au cours de l'année. Son officine, dans un quartier populaire de Cambrai, compte environ 2 000 patients réguliers, dont 30 % seraient éligibles aux bilans. « Nous avons d'abord contacté des patients dont on était presque sûrs de leur réponse positive, explique-t-il. Nous détectons l'éligibilité grâce à l'informatique : âge, affection de longue durée, au moins cinq médicaments depuis six mois, etc. Nous leur proposons de faire un bilan en leur faisant valoir, par exemple, qu'ils ne renouvellent pas telle boîte, qu'ils ne devraient plus avoir. Il faut trouver une porte d'entrée. »
Entretien en deux temps
« Lors d'un premier entretien avec le patient, on vérifie son insuffisance rénale d'après les analyses sanguines, on regarde les boîtes. On va historiciser sa vie, d'après une grille de questions : somnole-t-il le matin, prend-il trop d'antidiabétiques d'un coup ? Ce n'est pas compliqué de trouver : beaucoup de patients prennent leur Levothyrox pendant leur petit-déjeuner, alors qu'il est bien écrit de le prendre trente minutes avant le premier repas. On pourra lui dire de prendre tel médicament le soir plutôt que le matin, d'éviter un sédatif pour la nuit par rapport au risque de chute en cas de lever, etc. »
Dans un second temps, il va vérifier les interactions entre tous les médicaments, à l'aide du Vidal. Il prend ensuite un second rendez-vous, le plus souvent chez le patient lui-même, et lui lit le courrier qu'il a préparé pour le généraliste, en lui demandant son avis. « Le patient est souvent satisfait d'être concerné, observe-t-il, mais je n'ai, en revanche, jamais eu de retour, ni positif, ni négatif, de la part d'aucun médecin, même de ceux qui fréquentent l'officine. Mais on voit des modifications sur l'ordonnance suivante ! Il n'y a pas de confraternité entre professionnels de santé sur Cambrai, regrette Jérôme Cattiaux, mais on voit bien que les médecins nous entendent. J'ai fait deux cents vaccinations antigrippales, dont beaucoup à des patients envoyés par des médecins ! »
Mieux mettre en valeur notre métier
Ce confrère a suivi la formation aux bilans partagés de médication à la faculté de Lille, et porte un regard sur cette nouvelle mission. « Le bilan est intellectuellement compliqué, parce que beaucoup de pharmaciens se sous-estiment, ils ont notamment peur de la réaction des médecins. Moi-même, je reconnais avoir été boosté par une étudiante en 6e année, qui travaillait à la pharmacie, et préparait un mémoire sur les bilans ».
Mais Jérôme Cattiaux n'est pas étonné de lire, par exemple, qu'on constate une inobservance médicamenteuse chez 40 % des patients cardiaques. « Les gens prennent un traitement, mais ne savent pas à quoi il sert. Nous avons à leur parler avec des mots du b.a.-ba, que tout le monde peut comprendre. Des pharmaciens ont dit que les bilans vont faire baisser les prescriptions, donc leurs revenus. Mais les officines sont menacées dans leur existence, alors qu'elles ont des atouts à faire valoir : un réel maillage territorial, des plages horaires importantes, un service de garde. Le travail d'un pharmacien ne se résume pas à dire « bonjour et au revoir ». Nous avons à mieux mettre en valeur notre métier, et les bilans le permettent. »
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