Comment va la pharmacie française ? C’est la question posée par Claude Le Pen, économiste de la santé, vendredi dernier, lors de la présentation des perspectives du marché du médicament – mondial, européen et français – à l’horizon 2022*.
Première réponse : elle va bien. Son modèle n’est plus menacé par l’Europe, que ce soit sur son système de numerus clausus ou celui de la propriété du capital. Le pharmacien s’impose toujours plus comme un professionnel de santé grâce aux nouvelles missions de la loi Hôpital, Patients, Santé et Territoire (HPST) de 2009 et de missions encore plus nouvelles qui lui sont proposées, notamment à travers le décret services et prestations récemment paru, mais aussi dans les lois de financements de la sécurité sociale (LFSS) pour 2018 et 2019. Aux entretiens pharmaceutiques et au bilan médical partagé s’ajoutent diverses actions de prévention et d’accompagnement, la généralisation de la vaccination antigrippale à l’officine, mais aussi « la relance dans la LFSS 2019 de l’idée de pharmacien correspondant qui date de 2009 et qu’on avait abandonné ». La place du pharmacien dans les communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS) est une évidence et pourrait servir de cadre pour une éventuelle « dispensation directe de médicaments de prescription médicale obligatoire », idée défendue par « un groupe parlementaire très actif pour augmenter le pouvoir du pharmacien ». Claude Le Pen salue aussi l’instauration d’un nouveau mode de rémunération pour se déconnecter du prix du médicament et des baisses imposées chaque année.
Plafond de verre
Dans un second temps, l’économiste répond à sa question initiale par la négative. Le chiffre d’affaires de l’officine baisse ou stagne depuis 2012 après 40 années de croissance. « En 2018 ce chiffre d’affaires a légèrement augmenté, mais pour des raisons artificielles de transfert de produits hospitaliers vers la ville ; mais à périmètre constant il continue à baisser. » À cela s’ajoutent les baisses de prix régulières sur les produits remboursables, un ralentissement des ventes des produits sans AMM, « la crise de l’automédication » et de nouvelles missions « peu rémunératrices et difficiles à organiser dans de petites pharmacies ». En effet, les médicaments non remboursables, en baisse continue depuis 2015, chutent de 5 %. Un recul que Claude Le Pen attribue en partie au relistage de « 60 produits à base de codéine, dextrométhorphane, noscapine et éthylmorphine », associé à l’interdiction de publicité aux médicaments contenant de la pseudo-éphédrine et à la remise en question des marques ombrelle par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM). Globalement, l’économiste note une « tendance sécuritaire anti-marques et anti-pub ».
S’appuyant sur les chiffres publiés dans le rapport annuel du Comité économique des produits de santé (CEPS), Claude Le Pen souligne aussi que « la baisse des taux de marge n’est pas intégralement compensée par les honoraires » et la restructuration liée au changement du mode de rémunération entraîne des effets inégaux d’une pharmacie à l’autre. Quant au marché générique, il ne parvient pas à « passer le plafond de verre de 80 % de substitution en unités dans le répertoire exploité » et celui de la vente en ligne reste peu viable en France actuellement.
L’ambiguïté des pouvoirs publics
« D’un côté on veut consolider le pharmacien dans de nouvelles missions, renforcer sa part de professionnel de santé, l’intégrer dans les CPTS. De l’autre on tape dessus : la Cour des comptes dit qu’il y a 10 000 pharmacies en trop, que le chiffre d’affaires et les marges sont trop importants, que le coût de la distribution est trop fort, que les pharmaciens gagnent trop d’argent avec le générique, qu’il faut substituer le monopole du pharmacien à celui de la pharmacie pour que le pharmacien puisse exercer hors les murs, derrière le comptoir d’une grande surface par exemple… C’est là toute l’ambiguïté des pouvoirs publics. » Mais ce n’est pas le seul paradoxe relevé par Claude Le Pen.
En observant le développement de méga pharmacies, dont la surface de vente est d’au moins 200 m2 avec un chiffre d’affaires souvent bien supérieur à 20 millions d’euros, une stratégie commerciale agressive basée sur un business model purement capitaliste, Claude Le Pen remarque aussi qu’elles sont les mieux armées pour mettre en place les nouvelles missions, services et prestations, « tout ce qu’on voudrait voir se mettre en place dans les petites officines traditionnelles ». Mais avec une surface de vente de 70 m2 en moyenne, un chiffre d’affaires d’1,6 million d’euros, un seul titulaire (dans 76 % des cas) et parfois sans même un pharmacien adjoint (17 % des cas), Claude Le Pen demande : « Tout seul derrière son comptoir, comment voulez-vous que le pharmacien mette en place de nouvelles missions, qu’il dispense, conseille, réalise les entretiens pharmaceutiques ? » C’est là encore toute l’ambiguïté politique qui aboutit à encourager les grosses officines et à décourager les plus petites. « Nous sommes à la croisée des chemins. L’évolution du modèle officinal aura des conséquences car la pharmacie est un élément structurant du paysage : en France, 60 millions de personnes y entrent chaque semaine. »
* Journées solutions IQVIA 2019.
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