Ce 23 mars, des négociations vont être menées entre l'assurance-maladie et les syndicats de professionnels de santé libéraux au sujet des ESCAP. Un dispositif que l'on doit à l'Union nationale des professionnels de santé (UNPS), qui en a défini les contours début 2021. Plus d'un an plus tard, les ESCAP sont encore méconnues, et pour cause, elles n'existent pas encore en pratique.
« Très peu de pharmaciens connaissent cet acronyme aujourd'hui, confirme Fabrice Camaioni, membre du bureau de l'UNPS et président de la commission "Métier pharmacien" à la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). En revanche, quand on évoque le sujet de l'interprofessionnalité et qu'on leur explique le principe des ESCAP, les pharmaciens comprennent tout de suite de quoi il s'agit et s'y montrent favorables. Pourquoi ? Parce que c'est un mode d'exercice qui correspond à la vraie vie du terrain. »
Il y a quelques jours, pas moins de 35 organisations de professionnels de santé libéraux, dont la FSPF et l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO), ont présenté quatre propositions pour favoriser l'accès aux soins. Des travaux menés dans le cadre d'un groupe de travail mis en place avec l'Association des maires ruraux de France. Le développement des ESCAP y occupait une place de choix. « Il faut favoriser l'exercice coordonné souple. Cette idée fait aujourd'hui l'unanimité parmi les libéraux », veut souligner le président de l'USPO, Pierre Olivier-Variot. Une volonté qui fait aussi consensus chez de nombreux élus confrontés aux déserts médicaux et à la problématique de l'accès aux soins.
Quel est le principe d'une ESCAP ?
Difficile de s'y retrouver au milieu du nombre considérable d'acronymes qui ont fleuri ces dernières années dans l'univers parfois nébuleux de l'interpro. Pourtant les ESCAP se distinguent en bien des points des modèles existants. Contrairement aux maisons de santé pluridisciplinaires (MSP), qui reposent sur un partage de patientèle autour d'un projet de santé, ou aux communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS), approche populationnelle sur un même territoire, les ESCAP s'articulent autour d'un seul et unique patient. « Si un pharmacien, par exemple, se rend compte que l'état de santé d'un patient s'aggrave et qu'il est nécessaire que plusieurs professionnels de santé interviennent, il interroge alors une application numérique et remplit une grille d'évaluation », explique le Dr William Joubert, médecin généraliste et président de l'UNPS.
Le professionnel de santé va alors entrer différentes informations relatives au patient. Prend-il un traitement chronique ? A-t-il recours à certains dispositifs médicaux ? Parvient-il à se déplacer seul ? A-t-il des problèmes neurologiques ? « Cela permet de déterminer un score, si celui-ci atteint un certain niveau, alors on déclenche la coordination », complète Fabrice Camaioni. Si tel est le cas, il s'agit premièrement de demander au patient par qui il est suivi habituellement. « Comme il aura la réponse tout de suite, le professionnel peut constituer aussitôt une équipe autour du cas du patient », souligne le Dr Joubert. Si le patient n'a pas de médecin traitant, « on pourra se retourner vers ce qui existe sur le territoire », ajoute-t-il.
Cette équipe, qui devra être composée d'au moins trois soignants (dont obligatoirement un médecin selon le souhait de l'assurance-maladie) n'a pas vocation à être pérenne, elle est uniquement constituée pour traiter un problème ponctuel. « La grande avancée avec les ESCAP c'est que tous les professionnels de santé, quel que soit leur mode d'exercice, peuvent être impliqués. Sur l'ensemble du territoire, cela fait donc 500 000 personnes mobilisables tout de suite. On respecte le libre choix du patient, cela ne nécessite pas de former des équipes par avance et c'est complémentaire aux formes d'exercice en place », met en avant le Dr Joubert.
Des échanges grâce à une application sécurisée
Pour que les professionnels de santé réunis au sein d'une ESCAP communiquent entre eux, les échanges devront passer par des moyens sécurisés. Pas question d'utiliser son adresse Gmail pour partager des données sensibles sur l'état de santé d'un patient. « Rien n'est encore calé définitivement mais il y a des outils qui existent et qui nous ont été présentés », précise Fabrice Camaioni. On peut notamment penser à des applications gratuites comme Globule, déjà utilisée dans certaines régions par des professionnels de santé qui travaillent ensemble pour assurer une meilleure coordination des soins autour de patients souffrant de pathologies complexes.
Dans le cadre des ESCAP, qui auront vocation à se déployer sur l'ensemble du territoire, une seule application devra être choisie, par souci d'uniformisation. Il faudra aussi penser au lien qu'aura cette dernière avec « Mon espace santé », officiellement lancé en début d'année. « Les sociétés qui travaillent dessus y réfléchissent, précise Fabrice Camaioni. L'assurance-maladie sera bien sûr attentive au fait que les informations partagées via l'application utilisée dans le cadre des ESCAP soient versées ensuite dans "Mon espace santé". Cela semble tout à fait logique et profitable pour le patient », estime-t-il.
Rémunération des professionnels de santé : deux pistes à l'étude
Pour que les ESCAP deviennent réalité, il reste toutefois du chemin à parcourir. « Il faut que cela soit formalisé, codifié et que les professionnels de santé soient rémunérés », résume Fabrice Camaioni. Rendre le système des ESCAP conventionnel et déterminer le niveau de rémunération des professionnels qui s'impliqueront, c'est justement l'enjeu principal des négociations qui vont s'ouvrir le 23 mars avec l'assurance-maladie. Selon le Dr Joubert, deux pistes étaient récemment envisagées par la CNAM.
Première option : une rémunération versée dès le téléchargement de l'application. Seconde possibilité : rémunérer les professionnels selon le nombre de patients suivis. « Savoir comment on va rémunérer chacun, c'est évidemment un sujet très important. Surtout, il ne faut pas que cela devienne un point de blocage, prévient Fabrice Camaioni. Ce que l'on peut redouter c'est aussi que l'assurance-maladie nous impose une régulation sur le nombre de patients. Il ne faudrait pas que l'on soit limité à deux patients par semaine ou à cinq patients par mois par exemple. »
Des négociations capitales
Alors que l'on a souvent pu entendre que la CNAM et le ministère de la Santé ne débordaient pas d'enthousiasme à l'idée de favoriser le développement des ESCAP, les syndicats de pharmaciens et l'UNPS font part d'un certain optimisme quant à l'issue des négociations prévues cette semaine. « Le directeur général de la CNAM, Thomas Fatôme, a tout de même envoyé des signaux favorables ces derniers jours, c'est encourageant, souligne Fabrice Camaioni. Cela dit, j'espère que les élections qui arrivent et les changements qui vont en découler ne remettront pas tout en cause ».
Ce dernier scénario, Pierre-Olivier Variot ne le redoute pas vraiment aujourd'hui. « Honnêtement je n'y crois pas car le pouvoir actuel est vraiment favorable à la coordination, donc je ne le vois pas revenir en arrière. » S'il ne peut bien sûr prédire comment les négociations avec la CNAM vont se dérouler, le président de l'USPO « ne voit pas pourquoi cela ne se passerait pas bien ». Quant à savoir quand les premières ESCAP pourraient officiellement voir le jour, « il est impossible d'avancer une date aujourd'hui », explique Pierre-Olivier Variot.
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