Entre Noël et le Jour de l'an, Laurent Filoche, pharmacien à Blagnac (Haute-Garonne), avait prévu de s'octroyer quelques jours pour souffler, loin de son officine. Malheureusement pour lui, un invité encombrant est venu s'imposer aux réveillons de fin d'année. Un hôte arrivé en avance, qui l'a contraint à renoncer à ses projets.
À cause de la 5e vague de Covid, Laurent Filoche sera sur le pont entre le 25 et le 31 décembre, avec une partie de son équipe. « La demande en tests a explosé, il y a des tensions d'approvisionnement parce que les importateurs avaient interrompu les commandes. À cause de l'échéance du 15 décembre (date de la fin de validité du passe sanitaire pour les plus de 65 ans n'ayant pas reçu leur dose de rappel) on a dû faire face à des clients de plus en plus pressants pour la vaccination. Il y a beaucoup d'insatisfaction à gérer au comptoir, c'est dur, surtout après près de deux ans de pandémie. »
Créneaux et liste d'attente pour les tests et les vaccinations, salariés dédiés à l'une ou à l'autre tâche, Laurent Filoche et son équipe tentent de s'organiser au mieux pour faire face aux demandes. Même si les annonces des autorités sanitaires leur compliquent souvent la vie, comme lorsqu'Olivier Véran a promis que les plus de 65 ans pourraient se faire vacciner sans rendez-vous. « Il y a une communication maladroite, nous ne pouvons travailler à flux tendu comme les centres de vaccination. » Durant les fêtes, les pharmaciens pourraient recevoir un cadeau supplémentaire. Un cadeau de Noël livré avec deux jours de retard, le 27 décembre précisément, si l'on en croit les déclarations du ministre de la Santé. « Si l'on ouvre la vaccination en ville des enfants de 5 à 11 ans le 27 décembre ce sera du grand n'importe quoi, fustige Laurent Filoche. Comment pourrait-on physiquement le faire entre Noël et le Jour de l'an alors que l'on doit déjà finir de vacciner 19 millions de personnes pour les rappels ? »
Les affres du sous-effectif
À Blois, préfecture du Loir-et-Cher, Olivier Idot, titulaire d'une pharmacie située en centre-ville, a compris depuis bien longtemps qu'il ne pourrait lever le pied en cette fin d'année. Confronté à un problème de sous-effectif depuis 6 mois, il travaille « 6 jours sur 7, 11 heures par jour », à 65 ans, seulement épaulé par son associé et une apprentie. L'officine a perdu il y a quelques mois deux collaborateurs et Olivier Idot ne parvient pas à recruter. Une équipe très réduite qui l'a obligé à renoncer aux tests Covid. « On a essayé pendant une matinée ce n'était pas tenable. On vaccine à un petit rythme, 1 flacon par jour, entre 15 et 17 heures sur rendez-vous. C'est le moment le plus creux de l'après-midi, ainsi on n'empiète pas trop sur le reste de l'activité. » Pour Olivier Idot, fermer son établissement pendant les fêtes était inenvisageable. Sans renfort venu de l'extérieur, il enchaînera donc sur le même rythme durant les derniers jours de l'année civile. « Pour la vaccination, j'espère que les centres vont pouvoir accélérer la cadence et que les médecins vont s'y remettre parce qu'ils sont nombreux à avoir baissé les bras. »
Vacciner même le dimanche
Les chiffres du ministère de la Santé illustrent parfaitement le niveau d'engagement de la profession au cours des dernières semaines. Essorés par ces longs mois de crise sanitaire, les pharmaciens ont réussi à réaliser près de 900 000 injections (Pfizer et Moderna) lors de la semaine du 29 novembre. À l’heure actuelle, les officinaux assument environ 70 % de la vaccination de ville et 25 % de la vaccination anti-Covid tous circuits confondus. Côté tests antigéniques, la performance est également impressionnante. Sur cette même période, les officinaux en ont réalisé près de 3 millions par semaine.
Afin de permettre aux pharmaciens de disposer de davantage de temps pour vacciner et dépister, l'URPS pharmaciens d'Île-de-France a réussi à convaincre l'agence régionale de santé (ARS) d'autoriser les pharmacies à ouvrir le dimanche. Une idée ensuite reprise au niveau national, un arrêté ayant notamment officialisé une majoration de 5 euros par injection réalisée le dimanche ou les jours fériés. En Île-de-France, des officines ont pu se saisir de cette opportunité, comme s'en félicite Renaud Nadjahi, président de l'URPS pharmaciens d'Île-de-France. « Environ 150 pharmacies franciliennes ont ouvert le dimanche 5 décembre pour vacciner et dépister, un nombre qui s'ajoute aux officines qui étaient de garde ce jour-là (environ 80). Sachant que ces officines ont été mises au courant de cette possibilité seulement deux ou trois jours avant, cela démontre leur mobilisation et leur niveau d'implication. » Titulaire d'une pharmacie située dans un centre commercial de Rambouillet (Yvelines), Renaud Nadjahi se dit lui-même « débordé » en ce moment. « Actuellement, nous faisons entre 100 et 150 tests par jour et une centaine de vaccinations quotidiennes. Je n'ai pas demandé à mes salariés de renoncer à des congés pendant les fêtes, les équipes donnent déjà beaucoup. Personnellement, je n'ai pas levé le pied depuis le mois de juillet. » À l'approche des étrennes, Renaud Nadjahi invite par ailleurs les autorités à faire preuve de davantage de générosité envers les membres de sa profession. « Il est temps d'envisager une revalorisation de l'acte de vaccination. À travail égal, salaire égal. Ces écarts de rémunération selon le diplôme de l'effecteur ne sont pas logiques. »
L'exercice quotidien trinque
Pouvoir ouvrir le dimanche, Yorick Berger, titulaire dans le XIIIe arrondissement de Paris, aimerait beaucoup pouvoir le faire. « C'est une très bonne chose mais il faut les équipes pour ça, on manque de ressources humaines. Mon personnel est déjà exténué. » Le pharmacien espère pouvoir peut-être vacciner le dimanche en janvier s'il reçoit le renfort d'étudiants actuellement accaparés par leurs partiels. Autre difficulté qui complique l'exercice du pharmacien parisien : le délai de livraison des doses. « Il faut 10 jours entre la commande et la réception. Globalement, on passe plus de temps à faire de la logistique que de la vaccination », regrette-t-il. Preuve de l'investissement de son équipe, certains salariés ont reporté les congés qu'ils avaient prévu de poser pendant les fêtes. Comme dans l'ensemble des pharmacies, le personnel tient le choc et s'adapte aux incessants changements de doctrine. L'exercice quotidien pâtit néanmoins de ces missions supplémentaires. « Cela affecte la qualité de la délivrance, on fait moins d'entretiens, des choses restent en attente depuis longtemps… », déplore Yorick Berger. Sous leurs sapins, les pharmaciens n'attendent pas des présents extraordinaires cette année, juste les prémices d'un retour à la normalité.
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