Les relations professionnelles entre médecins, pharmaciens et infirmiers font partie intégrante de leur exercice quotidien. S'il en était besoin, les résultats de notre grande enquête le confirment clairement. Mais au-delà, ils montrent comment les réformes des dernières années, et singulièrement celles survenues dans l'urgence de la crise sanitaire, ont bousculé les fragiles équilibres de ces interrelations. Car les missions allouées à chaque profession ont évolué, se sont ajoutées et parfois même chevauché… au risque de générer quelques conflits de territoire.
Pourtant, travailler ensemble, les professionnels savent faire. Comme l'indique notre étude, médecins et infirmiers sont clairement les partenaires les plus réguliers des officinaux. Plusieurs fois par semaine (38,5 % des réponses), voire chaque jour (13,5 %), la croix verte est en contact avec le cabinet médical. Et les relations des pharmaciens seraient encore plus assidues avec leurs confrères infirmiers. Pas étonnant, dès lors, que ces échanges permanents suscitent confiance et respect. Plus de deux tiers (72,8 %) des officinaux accordent ainsi 4 et 5 étoiles à la relation qu'ils entretiennent avec les médecins de leur secteur. Un gage d'affection que leur retournent les prescripteurs de façon à peine moins appuyée (60,2 %).
Question de point de vue
Tout irait donc pour le mieux dans le meilleur des mondes de l'interprofessionnalité ? Pas si sûr. Car lorsqu'on les questionne sur l'opportunité des délégations de tâches intervenues ces dernières années, les professionnels perdent vite leur sourire consensuel. De nettes différences d'appréciations se font jour, selon que la personne interrogée est adepte du stéthoscope ou déchiffreur d'ordonnance. Ainsi, comme on pouvait s'y attendre, le « glissement » de certaines tâches médicales vers les non-médecins, recueille moins l'assentiment des médecins que celui des pharmaciens ou des infirmiers. Si les officinaux accueillent avec enthousiasme dans leur escarcelle certaines missions telles la vaccination anti-grippe (93 %), la vaccination anti-Covid (91 %), le droit de substitution générique (97 %), la réalisation de TROD angine (79 %), le statut de pharmacien correspondant et la dispensation adaptée (84 %), les infirmiers apprécient modérément - on pouvait s'y attendre - que les pharmaciens manipulent la seringue (24 % seulement l'approuvent pour le vaccin anti-grippe et 32 % pour l'anti-Covid). Les mêmes réserves s'observent côté médecins et, dans une moindre mesure, à l'égard de la vaccination à l'officine (seulement 39 % l'approuvent). Mais c'est surtout face à la dispensation adaptée à l'officine, la possibilité de délivrer des médicaments soumis à prescription, les cabines de téléconsultations ou le statut de pharmacien correspondant que les prescripteurs grimacent. Bref, chaque fois que les médecins se sentent menacés sur le pré carré de la prescription…
C'est a contrario dans une belle unanimité que médecins et pharmaciens se retrouvent pour penser que la crise du Covid va durablement modifier leurs rapports entre eux (71 %)… Mais leur vision de l'avenir les redivise aussitôt. S'ils s'accordent à penser, comme une fatalité, que de nouveaux transferts de compétences des médecins vers les autres professionnels se feront, ils n'ont pas vraiment les mêmes attentes à ce sujet. Côté pharmacie, on est 8 sur 10 à considérer qu'il faut envisager ces évolutions, alors qu'on s'y dit opposé, dans une proportion presque identique, côté médecins.
Les structures d'interpro pas adaptées ?
La délégation de tâche sera-t-elle donc toujours un combat front contre front ? Ne désespérons pas, car dépassant ces positions corporatistes l'interprofessionnalité continue d'avancer, notamment par le biais des structures de soins qui en sont le squelette. Comment le développement des CPTS, MSP et autres équipes de soins primaires est-il perçu par les pharmaciens ? C'est une « bonne évolution », plébiscitent les potards (77,7 %). Et si l'accueil est un peu plus tiède côté médecins (56,1 %), l'engagement effectif dans ces structures de coopération interprofessionnelles s'avère aussi modeste de part et d'autre (34,9 % des pharmaciens y exercent et 30 % des médecins). De l'intention à l'action, il y a donc un pas que franchissent encore timidement les professionnels. « Je manque de temps » (21,7 %), ou « c'est administrativement trop complexe » (28,6 %), justifient les pharmaciens absents de ces structures. Parce que « je veux rester indépendant », clament de leur côté plus de 36 % des médecins non investis. À noter que plus d'un médecin sur quatre ne s'y engage pas « car il n'en voit pas l'intérêt ».
Au total, la route vers l'interprofessionnalité n'a rien d'un long fleuve tranquille, confirme notre enquête. Si l'exercice quotidien semble rapprocher « naturellement » les professionnels, les intentions louables d'aller plus loin ne suffisent pas. La défiance à l'égard des structures d'interpro, mais surtout la crainte des prescripteurs de se voir tailler des croupières, freine encore le processus. Mais tout n'est pas perdu. Car, transcendant les querelles de clocher, la crise sanitaire a installé dans la population de nouvelles habitudes de soins. De gré ou de force, ces dernières pourraient bien être le creuset d'une nouvelle interprofessionnalité.
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