En plus de la vente et de la délivrance des médicaments, les pharmaciens ont, depuis plusieurs années, vu la variété de leurs activités s'accroître à la hauteur de la reconnaissance de leurs compétences : dépistage, vaccination, téléconsultation, entretiens pharmaceutiques, ou encore, en Bretagne, la prise en charge de certaines pathologies, via l'expérimentation OSyS, désormais étendue dans 3 nouvelles régions (Centre-Val de Loire, Corse et Occitanie).
Peu à peu, le pharmacien se construit une place centrale dans le système de santé français, où il joue un rôle majeur dans le conseil et l'éducation thérapeutique du patient, ainsi que dans la gestion, le contrôle et la prévention des problèmes de santé publique. De cette manière, il devient un interlocuteur privilégié entre les patients et les autres professionnels de santé, servant de relais entre la ville et l'hôpital.
De nombreux défis à relever
Toutefois, il reste encore beaucoup à faire. En effet, les nouvelles missions, pourtant accomplies par 74 % des pharmaciens*, restent pour l'instant marginales dans la rémunération totale de l'officine, en partie à cause d'une rétribution financière pas toujours suffisante. De plus, ces nouvelles missions sont souvent difficiles à mettre en place pour des pharmaciens, qui manquent de temps et de personnel. Sur ce dernier point, la profession peine à attirer les nouvelles générations, peu aidée par l'application désastreuse de la réforme PASS/L.AS et d'une mauvaise promotion de ses nouvelles activités, alors qu'elle souffre encore d'une image de « commerçant » éculée.
Enfin, l'accélération de la numérisation (parfois difficile à suivre) et l'arrivée potentielle d'obligations qui font débat au sein de la profession, comme la dispensation à l'unité, font que cette restructuration du système officinal est loin de se faire sans accrocs.
La France en avance
Néanmoins, les pharmaciens français peuvent se consoler en prenant conscience que, loin d'être en queue de peloton, ils sont largement en avance sur leurs confrères européens. « Dans certains pays, le pharmacien est un logisticien et un commerçant spécialisé, il n'y a aucune dimension de conseil. Sa marge est entièrement commerciale. On ne mesure pas à quel point la situation en France est exemplaire », affirme le Dr Jean-Jacques Zambrowski, président de la Société française de santé digitale (SFSD) et économiste de la santé.
La preuve de cette affirmation ? Les recommandations du Groupement pharmaceutique de l'Union européenne (GPUE), une association européenne qui siège à Bruxelles et représente 400 000 pharmaciens d'officines. Elle milite pour l'inclusion des pharmaciens aux seins de structures de santé collaboratives, l'élargissement des services pharmaceutiques aux bilans de médication, la participation à l'accompagnement des patients tout au long de leurs parcours de soins, et la mise en place d'activités de dépistage. Des activités déjà bien connues des pharmaciens français, preuve de leur avance sur le reste du vieux continent.
De plus, et même si les officinaux Français sont loin d'être étrangers aux problèmes démographiques, en nombre de pharmaciens diplômés par rapport à la population totale, la France reste le 5e pays européen le mieux classé. Avec 103 pour 100 000 habitants, il est dépassé uniquement par Malte (129/100k), la Belgique (125/100k), l'Espagne (119/100K) et l'Italie (119/100K), et se place loin devant les Pays Bas (21/100k) et l'Islande (53/100K), qui sont en queue de peloton.
Mais s'ils sont bons élèves, les pharmaciens français peuvent être encore meilleurs. Au-delà d'un satisfecit certes mérité, de quoi peuvent-ils s'inspirer en prenant exemple sur leurs confrères ?
Des initiatives en Europe
En Belgique, le rôle de pharmacovigilance du pharmacien est particulièrement mis en avant, avec la mise à disposition de ces informations dans les officines pour les patients. Le logiciel de dispensation des pharmacies belges intègre un service Web qui alerte les officinaux si un médicament fait l'objet d'une surveillance particulière et indique les informations et le matériel pédagogique existant afin d'en gérer les risques. Un dispositif qui a inspiré les fabricants de logiciels spécialisés en France.
Au Danemark, autre pays européen souvent cité en exemple, un système d’aide à l’observance a été introduit dans les pharmacies. Un dispositif indispensable : « En France, on sait que la moitié des patients atteints de diabète ne rachètent pas les médicaments au bout de 2 ans, ce qui rend leur traitement inefficace », rappelle Jean-Jacques Zambrowski. Ce service organise des consultations entre les pharmaciens et les patients qui rencontrent des problèmes d'observance (détectés en examinant le taux de rachat de leurs médicaments), afin de leur fournir conseils, informations et accompagnement pour garantir la bonne prise du traitement et son efficacité.
La péninsule ibérique n'est pas non plus étrangère à l'innovation des services pharmaceutiques. Ainsi, en Espagne, un centre de services pharmaceutiques, « Nodofarma », a été créé il y a quelques années. Il s'agit d'une plateforme universelle, accessible aux 22 198 pharmacies du pays. Elle comprend de nombreux services interconnectés, comme l'identification des médicaments contrefaits, l'analyse en temps réel des pénuries de médicaments, la validation des ordonnances (qu'elles soient papier ou électroniques), ainsi qu'un système de mise en réseau entre professionnels de santé pour les aider à mieux se coordonner dans le suivi des dossiers des patients. Un système flexible auquel sont sans cesse greffés de nouveaux services.
Plus à l'ouest, au Portugal, les pharmaciens peuvent vacciner tous les patients contre la grippe depuis 2007, sans restriction particulière, si ce n'est la garantie de leur formation, qui est obligatoire et se fait sur deux jours. La certification qui en est issue ne peut être conservée d'année en année que sur preuve de la poursuite de l'activité de vaccination, et doit être recertifiée tous les 5 ans. Les officinaux doivent également passer une certification en réanimation d'urgence, afin de pouvoir venir en aide aux patients en cas d'événement anaphylactique dans le cadre de la vaccination.
Outre-Atlantique, un pharmacien prescripteur
Aux États-Unis, les pharmaciens américains ont un rôle et des missions similaires à celles des pharmaciens français, si ce n'est qu’ils peuvent administrer tous les vaccins depuis les années 1990, le premier État leur ayant accordé ce droit étant la Californie, en 1996, et le dernier étant le Maine, en 2009.
Mais c'est au Canada que les pharmaciens peuvent se vanter d'être en avance sur leurs confrères français, et en particulier au Québec. En plus de pouvoir vacciner (depuis 2019 seulement, en retard sur le reste du pays), les officinaux de La Belle Province ont le droit d'ajuster les ordonnances médicales (que ce soit la forme du médicament, la posologie, la quantité ou les doses) et prescrire des analyses de laboratoire dans un contexte de surveillance d'efficacité et de sécurité des médicaments. Pour certains problèmes de santé simples, comme les allergies saisonnières et l'eczéma, il est même habilité à prescrire des médicaments.
Adapter la formation
Les pharmaciens français peuvent-ils s'acquitter de telles missions ? Si la volonté des représentants de la profession est là, tout le monde est bien conscient que ce qui fait défaut chez les officinaux n'est pas tant leur résolution que le temps, le personnel, et aussi le manque de formation. Mais pas question d'ajouter indéfiniment de nouveaux modules, au risque de surcharger le cursus du pharmacien (qu'il soit estudiantin ou post-promotion), déjà bien chargé.
« S'il faut élargir ce qu'on apprend au pharmacien, il faut aussi s'attaquer à ce qui n'est pas indispensable », explique Jean-Jacques Zambrowski. En effet, la transition vers un modèle de pharmacie axé sur les honoraires et les nouvelles missions nécessitera des ajustements dans la formation initiale. Par exemple, mettre davantage l’accent sur le développement des compétences cliniques des pharmaciens, avec, dès le départ, une formation approfondie sur les vaccinations, les TROD et les bilans de médication. Elle pourrait également aborder des aspects comme la gestion des dossiers patients, le dialogue avec d'autres professionnels de la santé et la promotion de ces services auprès du public. Renforcer les compétences en communication et en conseil auprès des patients est également indispensable, car avec un accent accru sur ces nouvelles missions, les pharmaciens auront plus d'interactions directes avec les patients.
Ainsi, les pharmaciens seraient plus à même de jouer un rôle plus étendu dans le système de santé, en mettant l'accent sur la prestation de services cliniques et la promotion de la santé publique, tout en maintenant un équilibre avec les compétences traditionnelles de dispensation de médicaments. « Bien sûr, il faut que le modèle de rémunération soit proportionné au temps et aux efforts passés sur ces nouvelles missions », considère Jean-Jacques Zambrowski.
Un pharmacien numérique
Au service de ces nouvelles missions et du pharmacien, le numérique doit lui aussi être à la hauteur. « La e-prescription va permettre de limiter les fausses ordonnances, dont le nombre augmente considérablement, alors que le pharmacien n’a que peu de moyens de les détecter », rappelle Jean-Jacques Zambrowski.
Pour le président de la SFSD, le Ségur du numérique, avec l'arrivée de l'espace numérique en santé qui ouvre au pharmacien l'accès au dossier médical partagé (DMP) du patient, est une petite révolution, qui rapproche le pharmacien des autres professionnels de santé, mais aussi de la patientèle « Le pharmacien a enfin accès à toutes les données de santé de ses patients, ce qui ne limite plus sa connaissance de ces derniers à ce qu'ils lui disent, ou pensent lui dire », explique Jean-Jacques Zambrowski.
Aujourd’hui, le numérique joue un rôle qui ne va que croître, notamment avec l'arrivée de l'intelligence artificielle. Le pharmacien de demain sera donc un acteur de santé de proximité, mais aussi connecté. De gré… ou de force.
Car si certains pharmaciens font de la résistance à ces nouvelles missions ou à la transition numérique, le combat qu'ils mènent est perdu d'avance « Nous n'en sommes qu'au début, et il faut savoir accompagner les évolutions au lieu de vouloir les ignorer. Celles et ceux qui ratent le train en marche seront débordés par ceux ayant fait le choix d’évoluer avec leur temps, et leurs pharmacies finiront par mourir », estime Jean-Jacques Zambrowski.
Aux éditeurs de LGO de jouer leur rôle et de rendre ces nouveaux outils aussi accessibles que possible. Car si le rythme n'est pas au niveau de la rapidité avec laquelle le métier évolue, le numérique deviendra un handicap, et non l'avantage qu'il est censé être. Un enjeu d'autant plus important que seulement 1 pharmacien sur 4 (26 %) estime que les outils numériques de « Mon Espace Santé » sont adaptés à la mise en œuvre des nouvelles missions.
* Selon l'enquête menée pour « Le Quotidien du pharmacien » par CallMediCall (voir page 27).
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