Qu'on le veuille ou non, l'arrivée des nouvelles missions en pharmacie est une réalité avec laquelle les officinaux sont obligés de composer. « Nous ne sommes pas dans une mutation du métier mais dans une transformation, une révolution », estime en effet Alain Grollaud, président de Federgy, la Chambre syndicale des groupements et enseignes de pharmacie.
Une évolution radicale, parfois difficile à suivre et à accepter pour certains officinaux, confrontés à des problèmes de ressources humaines et qui peuvent avoir du mal à s'adapter à un métier bien différent de celui qu'ils ont connu à leurs débuts. « Les deux premiers motifs exposés par les pharmaciens qui ne peuvent se lancer dans les nouvelles missions c'est "j'ai pas le temps" et "j'ai pas le personnel", confirme Alain Grollaud. Bien évidemment, quand on est habitué à faire un métier depuis 30 ans, on ne se projette pas sur ce qu'il va être dans 5 ou 10 ans. C'est logique. Il faut donc les aider, les accompagner, parce que leur métier va complètement changer. Et pour réussir cela, les groupements ont un rôle important à jouer », estime le président de Federgy.
Communiquer auprès du grand public
Personnel en nombre suffisant, capacité à dégager du temps, appui des groupements… Même les officinaux les plus motivés à l'idée de développer les nouvelles missions ont besoin de soutien pour s'adapter à la transformation de leur métier. Néanmoins, et ce même si l'ensemble des conditions sont réunies, il reste un frein au développement de ces nouveaux services en pharmacie. Un obstacle qui, pour l'instant, est impossible à franchir. « Aujourd'hui, de grandes missions nous attendent, que ce soit pour la vaccination, la prévention, la livraison à domicile… Je pose donc une question : comment les développer sans communication vers le grand public ? interroge Alain Grollaud. Pendant ce temps, d'autres acteurs s'y sont engouffrés ou vont le faire. Je ne voudrais pas que l'on revive ce que l'on a connu il y a 25 ans lorsqu'on a perdu, au fil du temps, le marché du matériel médical et du maintien à domicile. Cela était déjà dû à un manque de communication car les autres acteurs, eux, n'étaient pas soumis aux mêmes règles. Ces derniers sont allés vers le grand public et nous, nous avons subi. Si on n'y prend pas garde, on vivra le même phénomène aujourd'hui. J'appelle donc nos instances à une évolution et à déterrer ce fameux code de déontologie », exhorte le président de Federgy.
Un nouveau code de déontologie qui se fait attendre
La publication d'un nouveau code de déontologie, plus adapté à la réalité du monde d'aujourd'hui, est en effet attendue depuis bien longtemps par la profession. À l’heure actuelle, il est toujours impossible de savoir quand ce nouveau texte entrera en application. « Cela fait 15 ans que nous faisons des réunions avec le Conseil national de l'Ordre et que nous ne voyons rien bouger. Le rapport circule mais on ne le voit jamais, regrette Alain Grollaud. Les pharmaciens canadiens, eux, ont le droit de communiquer. Il faudra vite le faire sinon on n'évoluera pas », redoute-t-il.
Un avis que rejoint le président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO). Pour Pierre-Olivier Variot, il faut se montrer beaucoup plus actif en matière de communication auprès des patients. « Ce serait bien que l'assurance-maladie se bouge et dise aux patients ce à quoi ils ont droit. Ils sont trop timides là-dessus et c'est dommage, déplore-t-il. Si 99 % des pharmaciens se sont engagés dans la vaccination, c'est parce que les patients l'ont demandé. Aujourd'hui, si des patients viennent demander des bilans ou des accompagnements, on le fera. C'est dans notre ADN de prendre en charge des patients mais il faut qu'on leur fasse connaître tout ce que nous pouvons faire », appuie-t-il. Pierre-Olivier Variot n'oublie de rappeler également l'importance de soulager le pharmacien de certaines contraintes particulièrement chronophages, qui l'empêchent bien souvent de s'investir encore davantage dans ces nouvelles missions. « Il est inadmissible que l'on continue à perdre du temps à chercher des médicaments à cause des ruptures ou avec les mutuelles pour des problèmes de tiers payant », fustige-t-il.
S'adapter aux nouveaux besoins des patients
Comme le souligne Alain Grollaud, le manque, voire l'absence de communication peut permettre à d'autres entreprises d'investir certains services. Des sociétés issues d'autres secteurs d'activité qui ont, elles, la possibilité d'informer librement le grand public sur leurs activités. « Sur la livraison à domicile, c'est un service qui est pratiqué par d'autres, Livmed's aujourd'hui, Amazon peut-être demain… Ils finiront par capter l'ordonnance et nous, on n’aura rien vu venir. Pourquoi ? Parce que nous dans les pharmacies, on se dit "on le fait déjà". La demande est un reflet d'un comportement sociétal, les gens ont envie d'être livrés, c'est comme ça. Si les pharmaciens ne s'adaptent pas, ne proposent pas un service de livraison à domicile, d'autres le feront et quand ils commencent à mettre le pied dans la porte, ils vont beaucoup plus loin ensuite, donc soyons force de proposition », estime le président de Federgy. La chambre syndicale travaille d'ailleurs déjà activement sur le sujet, assure-t-il. « Pour la livraison à domicile, on travaille avec certains acteurs pour proposer une alternative. Le pharmacien à titre individuel assure déjà ce service, mais demain il faudra que l'on soit capable d'offrir un service pour l'ensemble des officinaux. »
Un rôle d'accompagnement
La livraison à domicile n'est d'ailleurs pas le seul domaine dans lequel les groupements devraient s'investir encore davantage qu'aujourd'hui, selon Alain Grollaud. « Il faudra que les groupements puissent assurer d'autres missions : le développement des biosimilaires, la substitution, il y a aussi besoin de formation des équipes… observe-t-il. Le pharmacien a trop le nez dans le guidon, il ne pourra pas le faire seul. Notre rôle, à nous groupements, c'est de former, d'accompagner nos équipes, de donner des process pour que l'officinal puisse s'organiser. » Des conditions trop rigides peuvent aussi décourager les pharmaciens, comme le rappelle le président de Federgy, qui appelle à se montrer vigilant concernant de potentielles évolutions. « La dispensation sous protocole (cystite, angine) doit être ouverte à tous les pharmaciens, il ne faut pas que l'on ne nous enferme pas dans le carcan des CPTS. Le parcours de soins en officine pour l'OTC est en train de fleurir avec la prise en charge par les mutuelles. C'est très bien, mais il faut maîtriser les datas parce que là aussi c'est le serpent de mer, on en parle tous les 10 ans et on se demande où est-ce qu'ils veulent aller. Si on ouvre les datas, si on a cette possibilité de remboursement et de consultation des droits, est-ce qu'on ne va pas nous imposer le système anglo-saxon dont on parlait il y a 20 ans ? Et demain on nous dira : " M. le pharmacien, la pastille pour la gorge c'est à un euro et c'est telle marque". Ce système, on n'en veut pas », insiste-t-il.
En conclusion, Alain Grollaud estime que l'accent doit être réellement mis sur la communication, qui doit impérativement être renforcée pour permettre aux officinaux de réussir à s'adapter à cette « révolution » que connaît leur métier aujourd'hui. « Nous devons pouvoir communiquer auprès du grand public rapidement. Je parle là de communication, pas de publicité. Il ne s'agit pas de dire qu'on est les meilleurs, mais d'avoir des messages clairs, qu'on puisse toucher la population et maîtriser nos circuits, nos services. Avec ces nouvelles missions, les autorités nous ont donné une chance, Il faut saisir l'opportunité qu'on nous a offerte. Pour y arriver, je pense que les groupements ont un rôle d'accompagnement important à jouer car les pharmaciens ont besoin d'être épaulés. »
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