Le 16 novembre, la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) et les syndicats majoritaires des salariés de l’officine, FO et UNSA, ont conclu un accord décidant d’une augmentation de 3 % du point officinal. Une hausse qui ne sera effective qu’à parution de l’arrêté d’extension au « Journal officiel », vraisemblablement au printemps 2022.
Cette revalorisation suffira-t-elle à redorer le blason de l’officine auprès des diplômés ? Car il y a urgence : 10 000 salariés manquent aujourd’hui à l’appel. La vaccination contre le Covid dans les centres et, dans une moindre mesure, le dépistage en barnum ont été souvent incriminés comme responsables de la cruelle pénurie de personnels dont souffre l’officine. Certes, la rémunération d'une demi-journée à 212 euros* dans les centres de vaccination a pu convaincre plus d’un diplômé de délaisser le comptoir. « C'est l'Eldorado. Une concurrence déloyale organisée par l'État, soutenue par le « Quoi qu'il en coûte », et qui a déshabillé les officines de cette main-d’œuvre, y compris des étudiants attirés par ces activités plus rémunératrices, ou encore cet été, des pharmaciens remplaçants », constate Frédéric Aula, pharmacien et fondateur de la plateforme de recrutement Club Officine.
Évaporation des diplômes
Mais la désaffectation pour l’officine est antérieure à la pandémie, « la discordance entre l'offre et la demande, initialement circonscrite à l'Île-de-France, s'est généralisée, au fil des ans, à l'ensemble du territoire », rappelle le dirigeant de Club Officine. « Depuis plusieurs années, les données démographiques de l'Ordre font apparaître un décalage entre le numerus clausus en études de pharmacie et les inscriptions à l'Ordre, ce qui laisse à penser qu'il y a une volatilité des diplômés. Or, même si un certain nombre d'officines disparaît chaque année, les patients restent toujours aussi nombreux », analyse de son côté Thibault Winka, directeur développement et gestion de projets de Team Officine, une plateforme de recrutement qui recense actuellement sur son site 620 offres d'emploi déposées par environ 450 pharmacies.
Comme pour de nombreux autres secteurs d’activité, la crise sanitaire n’a fait qu’accentuer le phénomène. « Les salariés de l'officine, adjoints comme préparateurs, ont été subitement confrontés aux tensions avec les clients que nous vivions jusqu'alors la nuit pendant les gardes ou dans certains quartiers difficiles », constate Frédéric Aula. « Pour l'officine, comme pour la restauration ou d'autres métiers qui souffrent également d'un manque de reconnaissance, y compris salariale et qui subissent des horaires peu compatibles avec la vie privée, les conditions de travail sous le Covid ont été un catalyseur sur des vocations vacillantes et ont poussé plus d'un salarié à se réorienter », décrit Olivier Clarhaut, secrétaire fédéral de la branche officine du syndicat FO. Il pointe du doigt comme autre facteur, la vaccination obligatoire qui a poussé par ailleurs plus d'un préparateur à la démission.
Surenchères
Les titulaires et les experts-comptables ne cessent de déplorer cette fuite des « cerveaux de l'officine ». Son intensité est telle qu’aujourd’hui des titulaires, au bord de la rupture, ne peuvent s’accorder de congés pourtant réparateurs après vingt et un mois de crise. Autre conséquence de la pénurie, les candidats à l’embauche n’hésitent plus à surenchérir. Avec un aplomb qui laisse perplexes leurs potentiels employeurs, tel ce titulaire roubaisien : « Une jeune pharmacienne s’est présentée avec, pour prétention, un coefficient 500. Quand j’ai refusé, elle est partie sans vouloir négocier. » À prendre ou à laisser. « À Marseille, une pharmacienne, diplômée depuis trois mois, demandait un coefficient de 550. Le titulaire n'a pas pu lui accorder ; elle a fini par trouver dans l'une des grandes pharmacies de la ville qui, elles, peuvent se permettre d'embaucher à 550, voire 600 », relate Frédéric Aula. Côté préparateurs, le phénomène est identique, certaines officines phocéennes n'hésitent pas à proposer des salaires à 1800, voire 1 900 euros. « Beaucoup de titulaires ont longtemps cru que la grille des salaires était un tarif réglementé ! C'est juste le tarif minimum. Et rien ne leur interdit de rémunérer davantage », sourit-il, relatant le cas d'une préparatrice bordelaise qui a reçu 30 à 35 propositions en quelques jours. « Autrefois, c'était au mieux 4 ou 5 réponses pour une demande d'emploi. »
Cette surenchère ne va pas de manquer de creuser les disparités au sein du réseau officinal. Les experts-comptables redoutent en effet une pression des salaires sur la rentabilité de l'officine, les frais de personnels augmentant plus rapidement que le chiffre d'affaires et la marge : + 3,30 % l'année dernière, après une croissance de 4,80 % en 2019. Gilles Bonnefond, porte-parole de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO), qui n'a pas signé l'accord salarial du 16 novembre, craint que cette revalorisation de 3 % du point provoque encore davantage de frictions sur le marché de l'emploi et exacerbe la pénurie. « Ça va être la course à l'échalote, un certain nombre de pharmacies vont payer au-dessus de la grille, les salaires vont grimper de manière artificielle et mettre à mal l'économie de l'officine », prédit-il.
L'attractivité en cause
Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), a chiffré à 180 millions d'euros la hausse du point. Mais ses calculs vont plus loin. Pour embaucher les 10 000 salariés nécessaires pour remplir ses missions, le réseau officinal a besoin de 400 millions d'euros supplémentaires qu'il se promet d'obtenir lors des prochaines négociations conventionnelles. Cette manne, pourvu qu'elle soit accordée par l'assurance-maladie, suffira-t-elle à combler le déficit de main-d’œuvre ?
Pour Olivier Clarhaut, c'est toute l'attractivité de la branche qui est en jeu. « Ce ne sont pas les 3 % d'augmentation du point qui vont créer des vocations », déplore-t-il, demandant aux syndicats patronaux de fournir un effort sur l'évolution des salaires et des carrières. Selon lui, la création du DEUST, qui valorise le métier de préparateur, ne suffira pas si elle n'est pas accompagnée d'un niveau de rémunération supérieur. Pour assurer la relève, Frédéric Aula, de son côté, suggère que les aides accordées pour l'apprentissage soient accessibles aux plus de 26 ans, « il s'agit le plus souvent de personnes en reconversion, donc sans doute plus impliquées sur le long terme dans l'officine. »
D'autres solutions existent pour déjouer la pénurie de personnels (voir ci-dessous). Thibault Winka accompagne ainsi des titulaires dans la réorganisation de leur management, « en recentrant sur les diplômés les tâches pharmaceutiques, tandis que les univers du retail, de la gestion de projet et de développement du point de vente sont confiés à des spécialistes ». Autre possibilité proposée par son cabinet, le recours à des diplômés étrangers, nombreux à se manifester ; mais ils suscitent encore la réticence des employeurs.
* Ou 53 euros de l’heure. Ce tarif majoré le week-end à 272 euros par demi-journée d'activité, ou 68 euros de l’heure.