Le Quotidien du pharmacien. — Comment pourrait-on résumer les objectifs et les moyens du travail des glaciologues ?
Dr Jérôme Chappellaz.- Les glaciologues étudient l'évolution du climat et de l'environnement terrestre en analysant des éléments chimiques présents à l'état de traces dans la glace naturelle constituant les glaciers de montagne et les grandes calottes de glace des régions polaires. À cette fin, ils conduisent des carottages au travers des glaciers afin de remonter un cylindre de glace d'environ 10 centimètres de diamètre, fournissant la matière première accumulée au cours du temps.
Ce travail est rendu possible par la nature même de la glace : les flocons de neige tombant à la surface d'un glacier incorporent des impuretés présentes dans l'atmosphère, renseignant sur l'histoire des pollutions ou de grands phénomènes naturels (éruptions volcaniques par exemple). Les atomes lourds et légers d'hydrogène et d'oxygène constituant la glace permettent de reconstituer la température à laquelle s'est produite la précipitation neigeuse ayant donné naissance à la couche de glace ancienne. Enfin, lorsque la neige se transforme en glace sous le poids des couches successivement accumulées à la surface du glacier, elle incorpore des petites bulles d'air, capsules d'atmosphère fossilisée nous renseignant par exemple sur la quantité de gaz à effet de serre présente dans l'atmosphère au cours du temps.
Le projet Concordia, qui a déjà quelques années, vise à archiver des carottes glaciaires venues de divers endroits du monde. Quels travaux sont réalisés sur ces échantillons. Pourquoi les conserver ?
Concordia n'est pas le nom d'un projet. C'est plutôt le nom de la station franco-italienne de recherche implantée au cœur du continent antarctique et opérée en continu depuis 2005.
C'est sur le site de la station Concordia qu'a été conduit le projet européen de carottage EPICA, entre 1996 et 2004. Il a atteint le socle rocheux situé à 3 270 mètres sous la surface du glacier, permettant de remonter la glace la plus ancienne jamais carottée sur Terre, à savoir 800 000 ans d'âge.
C'est également sur ce site que nous envisageons de stocker les carottes de glace patrimoine issues du programme ICE MEMORY, piloté désormais par la fondation éponyme sous égide de la Fondation Université Grenoble-Alpes. Cinq sites de carottage ont été ciblés jusqu'ici (deux dans les Alpes, un dans la Cordillère des Andes, un dans l'Altaï russe et un dans le Caucase russe). D'autres sont visés dans les années à venir, dont le Kilimandjaro à la fin de l'été 2022 si les autorités tanzaniennes nous délivrent le permis nécessaire.
Les bouleversements climatiques anciens sont observables à « livre ouvert » dans les glaces profondes. Que nous apprennent-ils sur les changements actuels ? Et sur l’impact plus récent des activités humaines sur la qualité de l’air ?
Le carottage européen EPICA à Concordia a notamment apporté énormément pour mieux comprendre l'évolution climatique actuelle et future : Il a permis d'étudier huit cycles climatiques (successions de périodes glaciaires et de périodes chaudes dites interglaciaires) et de démontrer que la quantité de gaz à effet de serre présente dans l'atmosphère co-varie naturellement avec le climat terrestre, jouant un rôle majeur dans son évolution ; ses analyses ont démontré que la quantité de gaz à effet de serre présente dans l'atmosphère aujourd'hui n'a pas d'équivalent sur les derniers 800 000 ans, la quantité de gaz carbonique ayant notamment augmenté de 40 % par rapport aux plus hauts niveaux observés sur cette période de temps.
Quel rôle jouent les glaces des pôles dans l’homéostasie terrestre ? Quels changements faut-il craindre de leur disparition progressive ?
La machinerie climatique terrestre implique des échanges d'énergie en permanence entre les différentes latitudes, par les courants atmosphériques et océaniques. Les pôles et la glace qui les couvrent jouent un rôle important par leur stock de froid et par leur action sur la quantité d'énergie solaire réfléchie vers l'espace, le blanc de la neige et de la glace agissant comme un réflecteur presque parfait. Les grands courants océaniques redistribuant l'énergie entre les zones intertropicales et les zones polaires sont aussi fortement affectés par l'évolution de la quantité de glace présente aux pôles.
La fonte du Groenland peut ainsi conduire à ralentir la formation d'eaux profondes plongeant en mer du Labrador et en mer de Norvège, formation qui joue un rôle régulateur du climat européen en particulier. Concernant l'océan austral entourant le continent antarctique, nous ne savons pas encore quelle sera l'évolution des échanges entre les couches superficielles et les couches profondes, en fonction du déglacement progressif de l'Antarctique. Or cet océan joue un rôle majeur pour capter une partie du gaz carbonique émis par l'activité humaine, de même que pour enfouir une partie de la chaleur accumulée sur Terre par l'augmentation de l'effet de serre.
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