Le Quotidien du pharmacien. - Comment le problème de la précarité menstruelle a quitté le champ des tabous pour devenir un problème de société ?
Élisabeth Moreno. - Longtemps considéré comme un sujet tenant exclusivement du « domaine des femmes », relégué aux débats de « seconde rang » et éminemment tabou, l’enjeu de la précarité menstruelle a émergé dans le débat public grâce au travail des associations et des parlementaires qui l’ont mis sur le devant de la scène et que je tiens à saluer.
À l’initiative de la majorité parlementaire, la loi de finances pour 2020 avait consacré un million d’euros à l’expérimentation de plusieurs dispositifs de lutte contre la précarité menstruelle. Cette évolution faisait suite notamment au rapport de la sénatrice Patricia Schillinger, qui mettait en lumière les difficultés d’accès de nombreuses femmes aux protections hygiéniques. Ce travail avait été enrichi par un rapport des députées Laëtitia Romeiro Dias et Bénédicte Taurine en février 2020 qui avait permis de compléter les constats posés et les préconisations.
Par ailleurs, le 4 décembre 2020, dans une interview à Brut, le président de la République s’est emparé de ce sujet, mettant des mots sur des maux. À la suite de son intervention et de son engagement, le gouvernement a décidé d’apporter cinq millions d’euros en 2021 afin de développer les dispositifs pour venir en aide aux personnes menstruées les plus précaires. Par ailleurs, à partir de la rentrée prochaine, des protections hygiéniques seront mises à disposition gratuitement dans les campus universitaires.
Ce sujet hier tabou est aujourd’hui au cœur du débat public et des préoccupations du gouvernement. Avec Olivier Véran et Frédérique Vidal, nous sommes déterminés à poursuivre et renforcer les actions engagées pour que chaque personne menstruée en situation de précarité puisse avoir accès aux protections périodiques.
Que représente cette problématique dans le monde, et à l’échelle nationale ?
Dans le monde, près de 500 millions de femmes n’auraient pas les moyens de se procurer régulièrement des protections hygiéniques. En France, elles seraient entre 1,5 et 2 millions. Selon un sondage réalisé par l’IFOP, 8 % des femmes et filles interrogées déclarent renoncer à changer de protections périodiques autant qu’il le faudrait, faute de moyens ; touchant ainsi des personnes en grande voire très grande difficultés financières.
Il s’agit pourtant de produits de première nécessité. Des produits dont les 4,7 millions de femmes de notre pays vivant sous le seuil de pauvreté sont susceptibles de se priver.
Cette réalité est inacceptable en France en 2020. Aucune femme ne devrait avoir à s’inquiéter pour sa prochaine protection périodique. En effet, en plus des risques sur leur santé, la précarité menstruelle entraîne d’importantes répercussions psychologiques et professionnelles.
Cette question qui touche à l’intimité rejaillit dès lors dans la vie à l’extérieur. Enjeu de santé, l’accès aux protections périodiques constitue également un enjeu de solidarité et d’égalité des chances. Car la précarité menstruelle impacte directement la réussite de la scolarité des collégiennes, lycéennes et étudiantes qui en sont les victimes.
Comment font les femmes qui n’ont pas les moyens d’acheter des protections hygiéniques ? Quelles conséquences à la précarité menstruelle sur leur santé physique et psychologique ?
Pour y remédier, nombreuses sont celles ayant recours à des protections de fortune : chaussettes, éponges, papier hygiénique, coton, etc. Autant de solutions inadaptées qui peuvent leur faire courir des risques graves sur leur santé comme des démangeaisons, des infections voire des chocs toxiques pouvant mettre en danger leurs vies.
Au carrefour des questions de santé et de précarité, ce sont également des répercussions psychologiques et professionnelles lourdes subies par celles qu’elle touche. Des répercussions plus insidieuses et généralement tues, car entourées de honte, qui mènent parfois à la dépression ainsi qu’à l’exclusion sociale. Un isolement qui impacte directement la réussite de la scolarité des collégiennes, lycéennes et étudiantes qui en sont les victimes. Un impact susceptible de conduire à la déscolarisation. L’accès aux protections périodiques représente donc aussi un enjeu de solidarité et d’égalité des chances.
Autrement dit, acheter des protections périodiques constitue une source d’inégalités que nous ne pouvons plus occulter. Le tabou des règles a aussi longtemps masqué le tabou de leur coût. Le combat contre la précarité menstruelle a donc plusieurs visages : de santé publique tout d’abord, mais aussi d’égalité entre les femmes et les hommes ainsi que de justice sociale.
Quelles actions le gouvernement met-il en place pour remédier à ce problème ?
Les expérimentations menées en 2020 a permis de répondre aux différents défis posés par la précarité menstruelle :
La mise à disposition gratuite de protections périodiques à destination de 62 collèges et lycées relevant de l’éducation prioritaire au sein de l’académie de Lille ;
Le renforcement des actions au sein des maraudes et des accueils de jour auprès de femmes hébergées ou à la rue, réalisées par l’Armée du Salut et la Croix-Rouge française ;
La vente à prix symbolique, de produits d’hygiène féminine dans les épiceries solidaires, notamment la FFBA et l’ANDES dont 95 500 femmes sont bénéficiaires ;
Le soutien des actions de collecte auprès du grand public et auprès de fabricants, réalisées par l’Agence du don en nature et par Dons solidaires ;
Et enfin, afin de répondre aux besoins de l’ensemble des femmes détenues, la distribution gratuite de protections périodiques avec choix de catégorie proposés aux femmes.
Suite à ces expérimentations ainsi qu’à l’engagement pris par le président de la République, ce sont cinq millions d’euros qui ont débloqués pour 2021 à destination des femmes et des personnes menstruées les plus précaires. Un engagement inédit auquel s’ajoute la mise à disposition gratuite de protections hygiéniques dans les campus universitaires, à travers les CROUS, à la rentrée prochaine. Des actions qui sont menées avec le soutien précieux des associations et des parlementaires.
S’il faut toujours se garder de verser dans le triomphalisme ou l’autosatisfaction, je crois que toutes ces mesures sont des mesures de grande ampleur pour favoriser l’égalité entre les femmes et les hommes et pour lutter contre la précarité.
Pourrait-on imaginer à termes, une prise en charge sociale des protections hygiéniques pour certaines femmes ? Autrement dit, des protections remboursées par la Sécurité sociale en pharmacie…
Acheter des protections périodiques constitue une source d’inégalités que nous ne pouvons plus occulter et c’est pourquoi le gouvernement s’en est emparé. Le tabou des règles a aussi longtemps masqué le tabou de leur coût. Le combat contre la précarité menstruelle a donc plusieurs visages : de santé publique tout d’abord, mais aussi d’égalité entre les femmes et les hommes ainsi que de justice sociale.
À travers les cinq millions d’euros pour cette année que j’ai évoqués ainsi que la mise à disposition de protections périodiques dans les campus universitaires en septembre, notre objectif est se concentre sur les femmes les plus précaires. Qu’il s’agisse des femmes sans domicile fixe, en milieu carcéral ou des étudiantes. C’est un combat que nous menons résolument avec les associations et les collectivités locales, elles aussi très engagées sur ce sujet.
* Ministre déléguée auprès du Premier ministre chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances
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