Le Quotidien du pharmacien. - Qu’est-ce qui vous a donné l’idée de vous lancer dans l’analyse de l’empreinte carbone du médicament… et de créer Ecovamed ?
Sébastien Taillemite. - Comme beaucoup de personnes, au printemps 2020 nous nous sommes retrouvés à avoir beaucoup de temps pour lire et réfléchir à de nouveaux sujets et c’est ainsi que nous nous sommes intéressés à l’origine de fabrication des médicaments, dans un contexte où les pénuries augmentaient et certains États pouvaient bloquer l’exportation de produits de santé. Il nous est alors paru intéressant de construire un référentiel qui permette d’objectiver l’origine de fabrication des médicaments, en prenant en compte l’ensemble des étapes de fabrication des principes actifs et du médicament final. Nous nous sommes alors rendu compte que ce référentiel constituait un pas important pour la base du calcul de leur empreinte carbone, qui était un autre thème auquel nous avions commencé à nous intéresser.
Après de nombreuses discussions avec les autorités, les professionnels de santé, les industriels, il est apparu qu’il y avait un réel besoin d’aider les fabricants à calculer l’empreinte carbone de leurs produits, de façon simplifiée, peu coûteuse tout en ayant une bonne précision, et nous avons alors travaillé un peu plus d’un an pour mettre au point une façon innovante de faire ces calculs, tout en étant conforme aux normes internationales de l’empreinte carbone.
Comment, concrètement, parvenez-vous à calculer l’empreinte carbone des médicaments et DM ?
Notre méthodologie consiste à faire l’analyse du cycle de vie du dispositif médical ou du médicament, voire seulement du principe actif selon la demande de nos clients, car le principe actif compte le plus souvent pour la majeure partie de l’empreinte carbone du médicament. Nous modélisons chaque étape de fabrication, et il peut y en avoir jusqu’à 40 pour un seul médicament. Alors que les sociétés traditionnelles effectuant des bilans carbone ont tendance à faire des approximations basées sur les différents ingrédients, nous calculons précisément chaque étape, en un temps relativement court grâce à la méthodologie que nous avons mise au point. C’est notre spécialisation sur les produits de santé et les produits de la chimie et des biotechnologies qui nous permet d’avoir cette précision, tout en étant peu onéreux.
Comme pour le Bio en agriculture, une fabrication pharmaceutique vertueuse sur le plan environnemental n’est-elle pas plus coûteuse ?
Non, car il s’agit de deux situations très différentes : l’alimentation bio est généralement plus chère car les rendements agricoles sont plus faibles, or une fabrication pharmaceutique meilleure pour l’environnement a généralement des rendements de fabrication meilleurs. En revanche, il est vrai que les productions pharmaceutiques en Europe ont très souvent une meilleure empreinte carbone mais un coût plus élevé que les productions réalisées en Asie. La différence de coût est donc plus une histoire d’origine de fabrication.
Nous allons publier d’ici quelques semaines une étude sur la metformine, un antidiabétique oral utilisé dans le traitement du diabète de type 2, dans laquelle nous montrons qu’à iso-coût l’impact environnemental de différents fournisseurs de ce médicament peut être très différent, en fonction de l’origine du principe actif. Dans d’autres cas ce sont seulement quelques dizaines de centimes en plus, et il y a probablement une part importante des patients qui seraient prêts à payer ce surcoût pour lutter contre le changement climatique, et donc sans impacter les comptes de la sécurité sociale. Un sondage récent de l’IFOP a d’ailleurs montré que 50 % des moins de 35 ans placent le critère de l’empreinte carbone devant le critère de prix pour les médicaments. L’évolution des parcours de soins peut aussi contribuer à diminuer l’impact climatique de la santé, sans coût supplémentaire.
Le label Ecovamed jouera-t-il le rôle d’un Nutri-Score du médicament ? À qui est-il destiné ? Patients et professionnels n’ont pas toujours le choix…
Dans beaucoup de cas, des choix peuvent être faits mais ce sont plutôt les autorités et les acheteurs de produits de santé qui peuvent faire ces choix. Il leur faut pour cela une information de qualité sur l’impact environnemental des produits de santé et l’empreinte carbone est probablement le meilleur critère à mettre en place sur le long terme. Ceci va néanmoins prendre du temps avant d’avoir cette information pour tous les produits de santé, et des processus de vérification devront être mis en place pour s’assurer que tous les acteurs communiqueront des empreintes carbone calculées selon la même méthodologie. Les fabricants ayant besoin de visibilité, il faudrait que les autorités donnent un échéancier, comme l’a fait le NHS en Angleterre, qui a su donner des jalons très clairs à tous les fournisseurs de produits de santé.
Le label Ecovamed apporte une solution plus simple pour cette période transitoire, qui va probablement durer quelques années, avant que chaque produit de santé ait son empreinte carbone déterminée. Il s’agit effectivement d’un Nutri-Score du médicament, qui donne un indice environnemental du médicament ou du dispositif médical, basé sur l’origine de fabrication et l’intensité carbone de l’énergie des différents pays ou chaque étape est réalisée. Bien que très simplifié, et pas aussi détaillé qu’une analyse de cycle de vie complète, cet indice permet généralement de classer les produits de santé selon le même ordre que ce que l’on obtient avec une empreinte carbone, pour un coût assez faible par produit et un calcul en quelques jours seulement. Le label permet donc d’initier cette démarche de prise en compte de l’origine et de l’environnement dans la Santé, et s’adresse principalement aux autorités et aux acheteurs de produits de santé.
En matière de prise en charge du médicament, le prix de la spécialité reste le critère prioritaire de décision. Dans ce contexte, quelle place l’empreinte carbone occupera-t-elle dans les choix institutionnels ?
Si l’État et l’Europe souhaitent réellement diminuer les émissions de gaz à effet de serre, ils ne pourront pas faire l’impasse sur le secteur de la santé qui représente 8 % des émissions de gaz à effet de serre de la France, et dont les médicaments et les dispositifs médicaux comptent pour la moitié. Les normes environnementales que l’on applique déjà aujourd’hui ont toutes un coût, et nous ne les remettons pas en cause car nous souhaitons tous avoir un air sain et des rivières propres. Le changement climatique va être bien plus coûteux et dramatique si nous ne faisons rien, donc, oui, il faudra probablement que l’empreinte carbone devienne un critère important, en plus du prix qui restera de toute façon un élément important. La revue « The Lancet » a récemment mis en exergue qu’un décès sur six dans le monde était dû à la pollution, choisir les produits de santé les moins chers même s’ils sont plus polluants est donc le plus mauvais calcul que nous puissions faire si nous voulons améliorer la santé des gens.
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