À l'hôpital franco-espagnol de Cerdagne

Des ordonnances à réécrire

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Publié le 19/09/2016
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Les médecins de l'hôpital franco-espagnol de Cerdagne délivrent parfois des ordonnances qui, par manque de rigueur, empêchent les pharmacies locales de fournir les médicaments prescrits.

Face à lui, la chaîne des Pyrénées. À ses pieds, de part et d'autre de la frontière franco-espagnole s'épanouit la Catalogne. L'hôpital de Cerdagne, à Puigcerdà (Espagne), accepte à la fois la carte Vitale et la carte sanitaire catalane, son équivalent sur le versant sud des Pyrénées. Unique en Europe, cet établissement de soins de 64 lits, notamment doté d'une maternité et d'un service d'urgences, est cofinancé par l'assurance-maladie et la CatSalut, son pendant catalan.

Composé de personnels français et espagnols, la coopération paraît exemplaire sur le papier… Pour peu que ce dernier ne prenne pas la forme d'une ordonnance ! Depuis l'ouverture de cet hôpital, voilà deux ans, huit pharmacies françaises sont concernées. Parmi elles, la pharmacie d'Anne-Marie et Jean-Christian Kervevan, à Saillagouse (Pyrénées-Orientales). Elle se voit fréquemment contrainte de refuser la délivrance de traitement aux patients en provenance de l'hôpital transfrontalier.

« Il arrive régulièrement que les ordonnances ne soient pas rédigées en dénomination commune internationale », explique Jean-Christian Kervevan. Dans ce cas, à la place du nom du médicament, c'est le nom international de la molécule qui doit être privilégié. « On dira pour faire simple que c'est souvent rédigé à la mode espagnole », illustre le pharmacien de Saillagouse. Ainsi, il arrive que certains médicaments prescrits n'existent pas, ou plus, en France ou encore que les dosages soient pour certains sirops « de 4 ml alors que chez nous c'est 5 ml… Souvent, il n'y a pas non plus de durée de traitement », poursuit Jean-Christian Kervevan.

Médiation

La mésaventure n'est heureusement pas quotidienne dans ce coin de montagne pyrénéenne. C'est surtout quand la pharmacie se trouve de garde le dimanche, ou bien le soir, que le problème se pose. « Cet été, nous avons dû refuser certains tiers payants. L'assurance-maladie des Pyrénées-Orientales reconnaît bien l'hôpital transfrontalier, mais ce n'est pas le cas de toutes les CPAM… Nous avons eu cette année plusieurs cas », explique le titulaire.

Face à cette situation gênante, tant pour les patients que pour la pharmacie, les malades sont, quand une solution ne peut être trouvée, invités tantôt à retourner à l'hôpital situé à 20 minutes de voiture, tantôt à s'adresser à la pharmacie de Llivia - un village situé dans une enclave espagnole - qui se trouve à mi-chemin entre l'établissement de soins et Saillagouse… « Mais pour le remboursement, là, je ne sais pas comment cela se passe », convient le professionnel français. Averti de la situation par Anne-Marie Kervevan, qui représente la FSPF dans le département, l'Ordre des pharmaciens a missionné le président du conseil régional de l'Ordre du Languedoc-Roussillon, Bruno Galan, lui aussi installé dans les Pyrénées-Orientales, pour mener une médiation avec l'hôpital de Cerdagne.

À leur décharge, les médecins espagnols ne sont plus habitués à rédiger une ordonnance papier, telle qu'ils sont contraints de la remettre à leurs patients français. En effet, pour les assurés catalans, la norme impose un dossier médical informatisé avec des ordonnances électroniques lues via la carte sanitaire catalane. Ouvert à la discussion, l'hôpital, par le biais de sa pharmacienne Elisanda Flotats-Vidal, a mis en place une formation pour les médecins du centre hospitalier. « Au mois de mai, nous avons mis en place sur le logiciel de l’hôpital une trame, qui a été validée avec Mme Kervevan », explique la pharmacienne hospitalière. « Elle contient toutes les données que le médecin doit ajouter à l’ordonnance. Cette trame une fois remplie, imprimée et signée, est l’ordonnance que nous livrons au patient. À l’automne nous ferons, avec les pharmaciens français, l’évaluation des prescriptions réalisées sur la base de cette nouvelle trame », poursuit-elle.

« Vous savez, cet hôpital est unique en son genre aussi, nous devons inventer de nouvelles choses tous les mois », explique-t-on au service communication de l'hôpital. Et notre interlocutrice d'évoquer une autre anecdote, conséquence de l'installation récente d'une antenne SMUR des Pyrénées-Orientales au sein de l'hôpital situé en Espagne : « Il a fallu aménager un stock particulier de médicaments car, pour vous donner un exemple, en Espagne, le dosage d'Ibuprofène est de 600 mg contre 400 mg en France. » Pharmaciens hospitaliers et d'officine et médecins sont donc immanquablement amenés à se revoir. La bonne marche d'une coopération sanitaire transfrontalière est à ce prix.

Guillaume Mollaret

Source : Le Quotidien du Pharmacien: 3287
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