Fusion

Les pharmacies mutualistes rejoignent le groupement Pharmacorp

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Publié le 06/11/2025
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À partir du 1er janvier, les 32 pharmacies mutualistes du Groupement d’achats mutualiste (GAM) rejoindront le groupement Pharmacorp. Un tournant historique car elles représentent la quasi-totalité du réseau mutualiste (elles sont en réalité 33 en cette fin 2025). Ces 32 structures, membres de la Mutualité Française, appartiennent à des unions ou des groupes d’union mutualistes, tels que les groupes Vyv (12 pharmacies) ou Aesio (6 pharmacies), et sont placées sous la responsabilité d’un pharmacien gérant.

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Les pharmacies mutualistes desservent uniquement leurs adhérents et bénéficient en échange de dérogation
Crédit photo : D.D.

À la pointe de l’innovation sociale lorsqu’elles ont été créées à la fin du XIXe siècle, ces pharmacies desservant uniquement leurs adhérents et bénéficiant en échange de dérogation (exemptées d’obligation de gardes et exclues du quota à l’installation), ont longtemps été perçues comme des concurrentes déloyales par les pharmaciens officinaux. C’est pourquoi le passage des dernières représentantes d’un parc, qui en comptait 70 à son apogée, vers un groupement en a surpris plus d’un.

C’est le groupe Hygie31, dont Pharmacorp fait partie, qui a annoncé « l’alliance stratégique » entre le Groupement d’achats mutualiste (GAM) et le groupement de pharmacies, dirigé par Laurent Filoche. « Le GAM qui gérait les 32 pharmacies a cherché des solutions pour qu’elles soient plus compétitives et a approché différents groupements pour savoir lequel serait le plus efficace pour les gérer, et nous avons remporté cet appel d’offres », explique le président de Pharmacorp.

Réglementées et conventionnées

Les besoins exprimés portaient « d’abord sur de meilleures conditions commerciales, et ensuite sur un accompagnement sur mesure pour renforcer leur performance et leur attractivité locale, avec un accès à nos outils digitaux et nos services métiers… », souligne Laurent Filoche, dont le groupement référence 120 laboratoires. « Elles ont exactement les mêmes problématiques qu’une pharmacie d’officine classique », analyse-t-il. Elles sont réglementées comme nous, conventionnées selon les mêmes tarifs avec l’assurance-maladie ».

Ce nouveau partenariat avec les pharmacies mutualistes est bien « la preuve que les groupements sont devenus incontournables pour toutes les pharmacies », poursuit le président de Pharmacorp, lancé dans une campagne de recrutement intense. Avec ces 32 nouvelles recrues, et d’autres en cours, le groupement comptabilisera 700 adhérents en janvier 2026. « Nous sommes le plus dynamique avec plus de 100 nouveaux adhérents par an, et une pointe exceptionnelle cette année au-dessus de 150 !»

Pharmacorp a lui-même rejoint le giron d'Hygie 31, un groupe en pleine expansion qui a intégré ces derniers mois plusieurs groupements régionaux tels que RPM, P & P et Pharm’Auvergne, pour en comptabiliser huit, dont l’enseigne historique Pharmacie Lafayette. Fin août, il représentait 1790 officines en France et en Espagne, avant de signer un accord avec GalileoLife en Italie. Sa holding est détenue majoritairement par Latour Capital avec BPI France pour actionnaire minoritaire.

Ces pharmacies mutualistes, cependant, ne sont pas des pharmacies comme les autres. Membres d’organismes régis par le Code de la mutualité, elles sont des sociétés privées à but non lucratif. Le pharmacien à leur tête n’est pas titulaire d’une licence, il est gérant et salarié. Lui et son adjoint sont bien inscrits à l’Ordre national des pharmaciens, mais au tableau de la section D. Leur effectif ne faisant que décroître, à mesure de la fermeture des pharmacies mutualistes, ils sont regroupés dans la même catégorie que les pharmaciens des sociétés de secours de mines dans les statistiques du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens.

Un pacte avec l’ennemi

Cette double catégorie qui rassemblait 113 pharmaciens gérants et 186 adjoints il y a dix ans, ne compte plus que 50 gérants et 95 adjoints en 2024, soit une diminution vertigineuse de 51,5 % des effectifs. Si l’on retire la quinzaine de sociétés minières, il ne reste que 33 gérants de pharmacies mutualistes, et environ le double d’adjoints. Soit une centaine de personnes, salariées sous la convention collective nationale de la Mutualité. Des salaires qui pèsent lourd sur les marges de ces pharmacies, alors qu’elles se réduisent comme pour les officines classiques.

En dépit de la marginalisation progressive des pharmacies mutualistes, leur alliance avec Pharmacorp fait grincer des dents dans la profession. « C’est un pacte avec l’ennemi », dénonce Guillaume Racle, représentant élu du syndicat USPO. « Les pharmacies mutualistes ont été nos concurrentes déloyales pendant des années, on s’est battu contre elles pour protéger le monopole pharmaceutique. Chaque année on se réjouit quand l’une d’elles ferme. Alors je ne comprends pas que Pharmacorp les intègre à son réseau. » Le représentant de l’USPO rappelle que les pharmacies mutualistes ont les premières mis en place le tiers payant pour leurs adhérents. « Elles ont alors connu une forte croissance, en attirant, non pas pour leur qualité de conseil ou leur professionnalisme, mais parce qu’elles faisaient le tiers payant contrairement, à l’époque aux pharmacies d’officine. »

Aucune leçon à recevoir

Exonérées des quotas d’installation, et des règles de profitabilité puisqu’adossées à une mutuelle, « elles ont pu se développer grâce à la concurrence déloyale, et en détricotant le monopole pharmaceutique », accuse-t-il. « Il y a de quoi se demander quel est l’intérêt derrière cette décision de Pharmacorp : est-ce la défense du monopole pharmaceutique ou l’intérêt économique ? »

« Je ne comprends pas pourquoi cette annonce fait autant de bruit

Une pharmacienne gérante d’une pharmacie mutualiste Aesio

Le président de Pharmacorp, de son côté, rejette toute accusation de trahison des valeurs de la pharmacie d’officine. « Cette brèche existe depuis 70 ans, on peut dire qu’elle est calcifiée, répond Laurent Filoche. Ce sont des pharmacies à part entière, qui cherchent des solutions pour résister comme le reste du maillage ». Par ailleurs, « j'aurai bien aimé que lorsque Leclerc s’attaque vraiment au monopole, les syndicats nous suivent dans les actions judiciaires », ajoute celui qui est également président de l’Union des groupements de pharmaciens d’officine (UDGPO). « Je n’ai pas de leçons à recevoir des syndicats sur la protection du monopole. »

« Je ne comprends pas pourquoi cette annonce fait autant de bruit », confie une pharmacienne gérante d’une pharmacie mutualiste Aesio, demandant l’anonymat en attendant une prise de parole officielle de son employeur. Elle n’est pas la seule à marquer son étonnement, la Mutualité Française comme le GAM, ne s’attendaient pas à une telle médiatisation.

La réponse réside dans le sentiment que ce tournant signe définitivement le fin du modèle mutualiste. Mais également en raison de la concordance avec la création, par l’UDGPO, et l’Union nationale des pharmacies de France (UNPF), d’un syndicat baptisé Union des pharmacies groupées de France (UPGF), pour représenter le poids des groupements et de leurs adhérents. Guillaume Racle souligne cette concomitance des annonces : « Un syndicat est censé représenter les intérêts de la profession de pharmacien d’officine, pas des intérêts économiques privés », déplore-t-il. Même devenues très minoritaires, les pharmacies mutualistes continuent de perturber les lignes.

Isabelle Duriez

Source : Le Quotidien du Pharmacien