Livrer les médicaments à domicile est un service pratiqué par de nombreuses pharmacies mais jusque-là de façon « artisanale » et au cas par cas. Avec l’évolution du métier de pharmacien vers des services plus affirmés vis-à-vis des patients, la livraison de médicaments devra se professionnaliser, voire s’industrialiser. La demande existe, c’est ce qui ressort de nombreuses études portant sur le sujet. Laurent Keiser, directeur général du groupement Aprium Pharmacie, l’affirme tout net : « les études le disent, la demande des patients aux comptoirs de nos adhérents aussi. » Aussi de nombreuses expériences ont-elles eu lieu ces trois dernières années pour tester différentes solutions auprès des patients. Toutes n’ont pas forcément donné de résultats. Ainsi le spécialiste des piluliers Medissimo a-t-il mené avec La Poste une expérimentation à Bordeaux, laquelle n’a pas été suffisamment concluante. Pour Caroline Blochet, sa présidente, la difficulté a d’abord été de travailler à la fois sur la livraison de piluliers et de médicaments, et par ailleurs d'être confronté au différentiel existant entre ce qui est exprimé, aussi bien du côté des pharmaciens que de celui des patients, et la réalité, affirme-t-elle en substance. Elle estime que la plateforme technologique était cependant adaptée, réutilisable si d’aventure la société se relançait sur ce marché. D’autres en tout cas y sont allés, chacun partant de sa spécialité. Car il y a plusieurs points d’entrée possible. On peut en effet aborder la livraison de médicaments à domicile par le biais de la logistique, par celui de la technologie pour faciliter les flux, par celui aussi de l’organisation des process au sein de la pharmacie. Celle-ci est en tout cas au cœur de toutes les stratégies. Les acteurs de ce marché en font les prescripteurs essentiels de leurs offres, par le biais de groupements ou non.
Un service multidimensionnel
Cet aspect « multidimensionnel » en quelque sorte de la livraison de médicaments a conduit les prestataires à s’associer aux cours des différentes expérimentations. Il oblige aussi les pharmaciens à considérer les prestations dans leur globalité avant de choisir un fournisseur précis. Mais vers quel profil de prestataire faut-il se tourner ? On peut s’adresser à un logisticien, comme Minute Pharma, spécialisé sur les secteurs de la santé et de la pharmacie, et donc au fait des contraintes liées au transport de médicaments. On ne transporte ni ne livre des médicaments comme des colis classiques, tient à rappeler Samy Layouni, directeur général et co fondateur de l’entreprise. « Nous sommes soumis aux bonnes pratiques de la distribution en pharmacie, et nos livreurs sont tous formés et respectent toutes les contraintes liées à la livraison de médicaments, que ce soit le respect de la chaîne du froid, la problématique des produits toxiques ou stupéfiants jusqu’à la nécessité de livrer en mains propres, parfois aux conditions souhaitées par les pharmaciens qui connaissent bien les demandes et les habitudes de leurs patients », déclare-t-il. Pour lui, le livreur d’officine est un métier à part entière qu’il aimerait bien voir accepté par l’ensemble de la profession et ses représentants. Le logisticien ne propose cependant pas d’application mobile susceptible d’aider à fluidifier le circuit. « Nous estimons que ce n’est pas le bon levier pour aborder le marché, affirme Samy Layouni, nous préférons que les pharmaciens et les groupements aient leurs propres applications. » Cela ne lui interdit pas d’utiliser le digital puisque les pharmaciens peuvent le solliciter de toutes les façons, y compris en ligne.
Trouver les bons chemins utilisateurs
À l’inverse, les pharmaciens peuvent s’adresser directement à des start-up disposant d’applications susceptibles de les aider dans leurs démarches relatives à la livraison de médicaments à domicile. Il n’y a cependant pas pléthore de prestataires. Parmi eux, citons Tessan, ex-Pharma Express, l’une des entreprises qui a commencé à travailler tôt sur le sujet. Cette start-up spécialisée en santé dispose d’une flotte en interne pour la gestion logistique mais pour Kori Leon, pharmacien et consultant chez Tessan, le point différentiant sur le marché est l’aspect technique de l’offre. « Il faut trouver des chemins utilisateurs différents de ceux de nos concurrents, il faut un parcours intuitif, notre application propose un processus court et optimisé, simple au regard de la complexité relative de la livraison de médicaments à domicile, du fait de son encadrement réglementaire », explique-t-il.
Tessan dispose également d’une fonctionnalité de prescription électronique, avec envoi sécurisé de l’ordonnance au pharmacien. L’entreprise a porté toute son attention sur les questions d’authentification, a-t-on affaire au bon patient, au bon prescripteur ? Une problématique pas seulement liée à la livraison de médicaments à domicile, mais aussi à l’ensemble des prestations digitales que Tessan propose aux pharmaciens, l’e-ordonnance bien sûr, mais aussi les cabines de téléconsultation connectées devenues sa priorité stratégique. Elle travaille sur l’intégration de ces différents outils ainsi que sur la restructuration de son service de livraison. C’est la raison pour laquelle les prescripteurs doivent aussi s’inscrire sur la plateforme en ligne de Tessan, pour qui l’enjeu se situe plus sur la façon d’utiliser ces différents outils et services dans un cadre de stratégie digitale globale de la pharmacie.
Un ou deux trajets ?
Autre prestataire à proposer une application digitale, Otzii, et ce depuis un an environ. La société travaille avec Axa notamment pour l’aspect logistique de la livraison, l’assureur lui amène accessoirement des patients, mais la start-up cible avant tout les pharmaciens, principaux prescripteurs de son application. Otzii s’engage sur un délai de livraison de 30 minutes, à partir du moment où le livreur a réceptionné la commande. L’application gère les étapes nécessaires à l’ensemble du processus, la prise de commande, la vérification de l’authenticité des documents, la notification pour le paiement par carte bancaire etc… Mais cela ne dispense pas les livreurs de devoir faire deux trajets vers le patient, le premier pour prendre l’ordonnance et la carte Vitale, le second pour les lui rendre avec sa commande.
Certes, le patient a transmis un scan de son ordonnance mais le pharmacien doit voir l’original, d’où ces deux trajets. La plupart des prestataires y sont confrontés, sauf dans le cas de renouvellement d’ordonnances, affirme ainsi Sami Layouni pour Minute Pharma. Notons que ces prestataires interviennent sur des périmètres géographiques très divers, mais forcément restreints et souvent en milieu urbain. Minute Pharma, par exemple, est spécialisé sur l’Ile de France. Le seul acteur à pouvoir atteindre n’importe quel patient en milieu urbain ou rural est La Poste (voir interview de Guillaume Bosc ci-contre). C’est pour cette raison que le groupement Aprium Pharmacie s’est associé à La Poste pour lancer en ce mois de septembre le service de livraison de médicaments qu’il développe depuis un an. Aprium Pharmacie a comme adhérents des officines de grande taille, 3,5 M€ de chiffre d’affaires en moyenne, et pour son directeur général, Laurent Keiser, il est indispensable pour ce nouveau service de maintenir le lien entre le pharmacien et son patient. La livraison de médicaments à domicile doit se faire dans ce cadre affirme-t-il en substance, faire que l’expertise au comptoir soit en quelque sorte prolongée. « Dans notre process, le patient va sur le site de la pharmacie, scanne son ordonnance, l’envoie et quand le pharmacien la reçoit, il a obligation de contacter le patient par téléphone, ou à défaut, via une messagerie sécurisée. Le pharmacien s’assure ainsi que le patient a bien compris son traitement. S’il ne parvient pas à le joindre, il ne peut pas délivrer le médicament. J’estime qu’on ne peut pas travailler autrement, si on ne procède pas ainsi, on se retrouve dans un système où le pharmacien ne fait pas son métier. » Aprium Pharmacie ne propose pas d’application mobile, jugeant les sites du groupement dits « responsive design » désormais suffisamment bien conçus pour être consultés de n’importe quel support. L’attention portée sur les process et l’organisation est peut-être le point différentiant essentiel dans le domaine de la livraison de médicaments à domicile. C’est en tout cas le point de vue d’Hélène Decourteix, consultante indépendante qui écrit dans un article publié sur son site « la pharmacie digitale » : « La proposition de valeur du pharmacien n’est pas dans l’acte de livraison mais dans l’accompagnement du patient et la sécurisation de la dispensation de la même manière que pratiqués au comptoir. »
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