Carte Vitale et carte de complémentaire santé s’il vous plaît ! Une rengaine que les équipes officinales connaissent bien. Avec ces sésames, une mécanique complexe et invisible est quotidiennement activée pour permettre une prise en charge des médicaments sans avance de frais.
Pour satisfaire la mise en œuvre du tiers payant, un partenariat moral et financier s’est édifié entre les pharmaciens et les complémentaires de santé au cours des trente dernières années. Un chantier de construction dans lequel la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF) s’est engagée dès les années quatre-vingt, se souvient Philippe Besset, l’actuel président du syndicat et ancien président-directeur général de Resopharma : « à l’époque, nous avons passé contrat avec près de 200 organismes. En parallèle, il était indispensable de gérer la complexité du flux des données pour ne pas alourdir l’exercice à l’officine, ce qui nous a conduits à créer Resopharma (cf. Encadré) ». Si pendant plusieurs années, les fédérations de complémentaires santé ont voulu faire entrer les pharmaciens dans le rang, un équilibre des forces s’est finalement installé. « Depuis dix ans, la relation a changé : nous avons su développer des rapports fréquents, nourris et de qualité pour parler d’avenir », note Philippe Besset. Présent à la table des négociations conventionnelles, l’Unocam (Union nationale des organismes complémentaires d’assurance maladie) se montre d’ailleurs favorable à l’évolution de la profession officinale (voir page 5).
Le chantier de la vérification des droits
Un élément pourrait renforcer la relation entre les pharmaciens et les complémentaires de santé : la vérification en ligne et instantanée des droits pour chaque bénéficiaire. « La seule carte de complémentaire présentée par l’assuré en début d’année est une preuve trop fragile et expose à des rejets ou des indus. Au final, c’est le pharmacien qui perd du temps et de l’argent », s’agace Pierre-Olivier Variot, président de l’USPO. Si la norme Visiodroit a ouvert des perspectives, le système présente encore des limites et mérite d’être amélioré. Philippe Besset y croit : « La prochaine étape sera la carte mutuelle sur smartphone et un système Visiodroit encore plus performant. Quand nous aurons généralisé Visiodroits, le problème des rejets sera résolu. Notre objectif est de couvrir 98 % des contrats en 2025. Pour l’atteindre, il nous reste notamment à convaincre le groupe Vyv (Mgen, Harmonie, MNT…) ». La FSPF vient par ailleurs d'annoncer un partenariat avec Santé Pharma pour VisioDroit.
Complémentaire et plus encore ?
Pour se différencier, certains organismes étendent leurs contrats à la prise en charge des produits non remboursables, sortant ainsi de leur fonction de seule complémentaire. Plusieurs initiatives ont déjà vu le jour, notamment le dispositif TP-Santé porté par Cegedim qui prévoit une prise en charge de produits non remboursables sélectionnés à 50 % du prix moyen constaté. Certains pharmaciens y voient un relais de croissance pour l’économie officinale et une affirmation de la place du pharmacien dans le parcours de soins. À condition de ne pas asservir les pharmacies aux organismes payeurs, prévient le président de l’USPO : « Il faut créer un modèle qui ne pénalise pas le réseau, c’est-à-dire qui ne conduise pas à sélectionner des pharmacies au détriment des autres et qui respecte le principe de prix libre, fixé par le pharmacien ». En 2020, ce syndicat, en partenariat avec Carte Blanche, a d’ailleurs soutenu la création d’un service de médication officinale. Si l’idée est intellectuellement intéressante, est-elle pour autant pertinente ? « La moitié des médicaments de prescription médicale facultative (PMF) remboursables sont achetés sans ordonnance, donc sans remboursement. La prise en charge de toutes les dispensations valoriserait effectivement le parcours de soin officinal, mais répondra-t-elle à un besoin sociétal ? Afin d’être efficient, ne devrait-on pas cibler les populations en situation de précarité sociale ? », s’interroge Luc Besançon, délégué général de NèreS. Pour lui, la couverture de tout PSO orientera les conseils vers des spécialités remboursables avec à terme « une action des complémentaires en termes de prix, de volumes voire de référencement des pharmacies ». Pour Alain Grollaud, président de Federgy, le syndicat des groupements et enseignes, ces dispositifs restent des leurres pour les Français, et « exposent le réseau officinal à une ingérence des complémentaires », à l’image de ce que l’on observe dans le secteur de l’optique. En 2024, force est de constater que ces initiatives restent confidentielles. « La prise en charge au premier euro par les complémentaires ne fonctionne pas parce que ces dernières n’en veulent pas. Ceux qui mettent en place ces solutions le font pour des objectifs marketing, sans réel résultat, ni bénéfice pour l’adhérent », observe Philippe Besset. En cause, des freins financiers conjugués à des freins technologiques. « Sur la partie non remboursable, en l’absence de solutions pour la télétransmission des factures du Parcours de soins officinal (PSO), le coût de traitement des demandes papier serait trop important », commente le délégué général de NèreS.
Quand la financiarisation menace le réseau officinal
La relation qui unit les pharmaciens et les complémentaires santé au sein du système français cache donc des enjeux économiques et stratégiques considérables pour les uns comme pour les autres. Un phénomène plus récent inquiète Laurent Filoche. Pour le président de l’UGDPO, l’entrée de certaines mutuelles au capital de groupements de pharmacie menace l’indépendance des officines. « En janvier, la MACSF (mutuelle d’assurance du corps de santé français) a annoncé son intention de participer à l’acquisition d’Aprium Pharmacie. Cette démarche signe la mainmise de ces organismes sur le réseau officinal, avec tous les dangers que cela représente », déclare-t-il en regrettant que cette information soit passée sous silence. Ses inquiétudes rejoignent d’ailleurs celles des sénateurs ; ils ont initié une mission d’information sur la financiarisation du système de santé, se traduisant notamment par un « transfert de l’offre de soins privée des professionnels de santé libéraux vers des acteurs financiers ». La remise du rapport est prévue à l’été 2024.
Pour en savoir plus...
Quel impact de l’augmentation des tarifs des complémentaires ?
Largement relayée par les médias, l’augmentation des cotisations des mutuelles en 2024 est de l’ordre de 8,1 % (selon une enquête de la Mutualité française). S’il est encore trop tôt pour évaluer l’impact de cette hausse sur le marché des produits de santé vendus à l’officine, le directeur adjoint du Gers-Data David Syr reste prudent : « on peut s’attendre à un arbitrage du consommateur sur les dépenses de santé en début d’année, juste après l’annonce de l’augmentation. Cependant, malgré l’inflation, le panier moyen conseil est resté stable entre 2022 et 2023 ». Au Gers Data, l’augmentation des cotisations à laquelle s’ajoute le doublement de la franchise médicale à partir d’avril seront évidemment des paramètres pris en compte dans l’analyse des données de l’année 2024.
Les complémentaires santé en France
Les organismes complémentaires d’assurance maladie (OCAM) proposent des contrats d’assurance pour compléter la part non prise en charge par le régime obligatoire. Ces contrats sont payants et optionnels.
Trois types d’OCAM existent en France :
- les sociétés ou compagnies d’assurance sont des sociétés de capitaux, avec des actionnaires. Leur activité est régie par le Code des assurances ;
- les mutuelles sont des sociétés de personnes à but non lucratif. Leur modèle repose sur l’économie sociale et solidaire ; les bénéfices sont redistribués en faveur des adhérents. Leur activité est régie par le Code de la mutualité. Les mutuelles représentent l’acteur principal sur le marché des complémentaires santé ;
- les institutions de prévoyance sont des organismes à but non lucratif. Ils sont gérés par un conseil d’administration où siègent des représentants de salariés et des représentants des entreprises. Ils sont régis par le Code de la Sécurité sociale.
Les intermédiaires pour la gestion du tiers payant
L’organisation du tiers payant entre les pharmacies d’officine et les complémentaires santé fait appel à deux types d’intervenants majeurs :
- les opérateurs de tiers payant (OTP) collectent les demandes de remboursement pour des ensembles de complémentaires. Il s’agit de Viamedis, Almerys, SP Santé, I Santé, Actil ou encore carte blanche ;
- les organismes concentrateurs techniques (OCT) assurent la télétransmission des feuilles de soin électroniques (FSE) entre les pharmacies et les complémentaires ou les OTP. En pharmacie, il s’agit par exemple de Resopharma et Agetip. Les OCT peuvent proposer des services supplémentaires, tels que le paiement par avance ou le traitement des indus.
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