C’est une mesure qui était prévue dans la loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) 2024 : conditionner « la prise en charge d'un produit de santé au renseignement par le prescripteur d'éléments relatifs aux circonstances et aux indications de la prescription ». Un décret daté du 30 octobre vient officialiser cette disposition et en définit les premiers contours. Ainsi, pour que certains produits de santé puissent toujours être pris en charge, le médecin devra s’assurer que sa prescription correspond bien aux indications thérapeutiques établies par la Haute Autorité de santé et l’assurance-maladie, en inscrivant certains éléments « sur l'ordonnance ou sur un document dédié, joint à l'ordonnance ». À ce jour, la liste des molécules concernées par cette mesure est encore en attente de publication. Comme le précise la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), c’est bien « la prise en charge des produits de santé à fort enjeu de santé publique » dont il est ici question. Une classe de médicaments est visée en priorité : les analogues du GLP-1 qui sont aujourd’hui remboursés (Trulicity, Ozempic). Contactée par « Le Quotidien du pharmacien », l’assurance-maladie précise aujourd’hui « être prête à mettre en œuvre (ce dispositif) avec des outils simples, qui seront testés, dans le champ prévu l’année dernière, dès que les arrêtés sortiront sur des molécules pour lesquelles le risque de mésusage est avéré ». Selon une information confiée par Philippe Besset, président de la FSPF, la CNAM aurait également en tête d’incorporer dans cette liste, en plus des analogues du GLP-1, « des benzodiazépines ». Une information encore à confirmer mais si tel était le cas, les volumes de médicament concernés par cette mesure seraient donc importants.
Quelles conséquences au comptoir ?
Si cette nouvelle procédure aura des conséquences sur l’exercice des prescripteurs, elle en aura aussi sur celle des pharmaciens. Selon la FSPF, les officinaux devront premièrement « s’assurer de la présence et la complétude de l’ordonnance et/ou du formulaire dédié avant de facturer les produits à l’assurance-maladie. À défaut de présenter ces éléments, les patients devront être réorientés vers le prescripteur ou devront s’acquitter du paiement des produits sans prise en charge de l’assurance-maladie ». Ensuite, le pharmacien aura la charge de « transmettre les éléments à la caisse d’assurance-maladie dont relève le patient, l’ordonnance et/ou le formulaire dédié (à l’exception des informations couvertes par le secret médical) ».
La CNAM aurait également en tête d’incorporer dans cette liste, en plus des analogues du GLP-1, « des benzodiazépines »
Le syndicat a demandé à la CNAM de lui fournir l’ensemble des éléments à connaître pour appliquer ces consignes au comptoir, à commencer bien sûr par la liste des molécules mais aussi le formulaire qui, lui non plus, n’a pas encore été publié. « Nous n’avons pas encore eu de réponse », précisait Philippe Besset en fin de semaine dernière. Le président de la FSPF juge plutôt sévèrement l’introduction de cette mesure, qui risque selon lui de rendre encore plus complexe un système qui l’est déjà suffisamment. « Ordonnances sécurisées, ordonnances d’exception, présence obligatoire ou non de la carte Vitale… Il faut remettre à plat l’ensemble des nouveautés réglementaires et administratives que l’on a autour de la prescription car il commence à y en avoir beaucoup. » Président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO), Pierre-Olivier Variot redoute lui aussi des tensions au comptoir, lorsqu’il faudra expliquer à un patient qu’il devra retourner voir son médecin s’il veut bénéficier d’une prise en charge. « Ce qui m’inquiète, c’est que les médecins ne soient pas au courant de ce qu’ils doivent faire et que cela nous retombe dessus. Cela susciterait de l’incompréhension chez les patients. » Une inquiétude que partage Philippe Besset. « Que va-t-il se passer si le patient ne dispose pas du bon document et donc si le médicament n’est pas remboursable ? Le pharmacien risque de servir de porteur de mauvaise nouvelle. Cela peut être chronophage pour nous aussi car nous allons devoir appeler le médecin, qui ne serait peut-être pas joignable ou qui nous dira qu’il ne veut pas le faire… », redoute-t-il déjà.
Ozempic et Trulicity dans le viseur de l’assurance-maladie
Auditionné au Sénat jeudi 31 octobre, le directeur général de l’assurance-maladie, Thomas Fatôme, a, lui, confirmé la volonté de mieux sécuriser les prescriptions d’analogues du GLP-1. « Si nous ne surveillons pas les conditions dans lesquelles ils sont prescrits, je peux vous dire qu’on va avoir extrêmement rapidement des centaines de millions d'euros de dépenses », a-t-il déclaré en évoquant Ozempic ou Trulicity, antidiabétiques parfois détournés de leur indication première et prescrits comme traitements contre l’obésité. Pour Pierre-Olivier Variot, renforcer les règles autour de la prescription de ces médicaments semble néanmoins indispensable. « Je reçois plein de prescriptions hors AMM pour ces médicaments. Encore récemment pour une patiente qui n’était pas du tout diabétique… Cela pose un vrai souci et cela explique les tensions d’approvisionnement sur ces spécialités », regrette-t-il. Néanmoins, ce nouveau procédé pose un autre problème, selon lui. « Aujourd’hui, pour certains médicaments comme Praluent, il faut une demande d’entente préalable mais lorsque l’assurance-maladie ne répond pas dans les délais, la “non-réponse” vaut pour acceptation. Là, il faudra obligatoirement une réponse positive pour ouvrir la voie à une prise en charge. Or on ne peut pas avoir ces deux systèmes différents qui cohabitent », estime le président de l’USPO.
Mesure chronophage, remise en cause du secret médical… les médecins vent debout
Toujours devant les sénateurs, Thomas Fatôme a également rappelé que cette procédure de vérification préalable de certaines prescriptions pourrait bientôt s’appliquer au transport de patient et aux analyses médicales, tel qu’évoqué dans le PLFSS pour 2025 bien que l'article en question (article 16) ait été supprimé lors de son examen par la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale. « Il faut que les professionnels acceptent qu'il y ait (au moment de la prescription de certains produits de santé) quelques démarches à faire très simples », a-t-il soutenu, rappelant que ces pratiques sont déjà suivies dans d’autres pays européens. Un argumentaire qui n’a pas du tout convaincu les représentants des médecins libéraux, qui ne se sont pas fait prier pour dire tout le mal qu’ils pensaient de ces nouvelles règles. Dans les colonnes du « Quotidien du médecin », le Dr Jean-Christophe Nogrette, secrétaire général adjoint de MG France, regrette premièrement un texte pris « sans aucune concertation avec la profession ». Pour le praticien, cette mesure aura une conséquence claire : « décourager (les médecins) de prescrire tout court et c’est totalement contraire aux intérêts des patients », dénonce-t-il. Un point de vue partagé par le Dr Richard Talbot (FMF), qui accuse la CNAM de « vouloir compliquer la vie des prescripteurs au point qu’ils laissent tomber les molécules “dangereuses” », comprendre celles qui coûteraient trop cher pour les finances de la Sécu.
Devoir de désobéissance
Particulièrement remontés, les syndicats de médecins généralistes évoquent aussi un autre danger lié à ces règles renforcées autour des prescriptions : la remise en cause du secret médical. C’est notamment ce que redoute le Dr Jérôme Marty, président de l'Union Française pour une médecine libre (UFML). « Il y a un vrai problème avec ce décret vis-à-vis du secret médical, puisqu’il implique en effet de justifier du motif d’une prescription », juge-t-il dans des propos rapportés par « La Dépêche du Midi ». Autre crainte, le temps passé à remplir les renseignements désormais imposés. « C’est un décret méprisant qui va directement aggraver les difficultés d’accès aux soins et augmenter les pertes de chances des patients en raison d’une surcharge de travail administratif, injustifiée et chronophage », fustige l’UFML. Très en colère, le Dr Marty va même jusqu’à évoquer la possibilité que les médecins se refusent à appliquer ces nouvelles consignes. « Quand la loi menace la qualité et l’accès aux soins, il est du devoir des médecins de désobéir », menace-t-il. Bien que le décret ait été publié, cette nouvelle doctrine reste pour l’instant théorique, du moins tant que la liste des molécules n’a pas été officiellement publiée. Alors que le PLFSS pour 2025 a été transmis au Sénat, l’espoir de convaincre les parlementaires de supprimer cette mesure est toujours vivant. C’est notamment l’objectif clairement affiché par MG France, qui compte demander à la ministre de la Santé de « corriger cette erreur profonde qui va impacter l’accès aux soins ».
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