Le Quotidien du pharmacien.- Au-delà des données économiques récoltées pour l’année passée, il semblerait qu’au travers de récents sondages auprès des officinaux, la trésorerie des pharmacies s’affaiblisse en 2023. Est-ce également votre analyse ?
Philippe Becker.- Nous observons à nouveau des tensions dans certaines officines qui font face à plusieurs défis. Sans pour autant noircir le tableau, nous savions dès le début de cette année que l’économie officinale allait rentrer dans une période plus difficile après un pic d’activité lié à trois années de crise sanitaire. Ce n’est pas un scoop mais c’est une nouvelle situation qu’il va falloir gérer. C’est d’ailleurs bien pour cela que dans vos colonnes nous avions déjà lourdement insisté pour que les titulaires fassent en sorte de garder le matelas de trésorerie qu’ils avaient pu avoir fin 2022 en renforçant leurs capitaux propres.
Vous parlez de certaines officines qui encourent plus de risques mais aussi de nouveaux défis. Pouvez-vous nous en dire davantage sur ces tendances ?
Bertrand Cadillon.- Les mesures qui ont été prises par le gouvernement pendant la crise du Covid pour sauvegarder l’économie des entreprises françaises ont, par certains aspects, repoussé des échéances difficiles. Cela est vrai pour certaines officines qui rencontraient des problèmes financiers début 2020 : pour faire court, elles ont eu plusieurs ballons d’oxygène inespérés. Mais aujourd’hui, la marée se retire et par conséquent les problèmes réapparaissent au grand jour. Il faut aussi ajouter les officines qui n’ont pas, pour des raisons diverses et variées, bénéficié de l’effet Covid. D’après notre récente étude, près de 10 % de notre panel a vu son activité baisser en 2022 ! Ramené à la population globale, ce sont plus de 2 000 officines qui n’ont pas capitalisé.
Quant aux nouveaux défis, quels sont-ils ?
Philippe Becker.- Très concrètement, nous en voyons trois : un affaiblissement de la rentabilité lié à la conjugaison d’une activité stagnante, d’une forte baisse de la marge brute et de l’augmentation des coûts d’exploitation. C’est le fameux « effet de ciseau » qui était anticipé, mais qui est peut-être plus fort que prévu du fait de l’inflation et de l’augmentation des coûts salariaux. Donc qui dit baisse de rentabilité dit recul du niveau de trésorerie. Nous notons aussi qu’une partie de l’amélioration des liquidités avait été la conséquence des reports d’échéances sociales diverses ou octroi de prêt garantis par l’État. Aujourd’hui il faut rembourser ! Enfin, et c’est un phénomène nouveau, nous observons parmi nos clients pharmaciens une volonté de surstocker pour faire face à l’épineuse question des produits en rupture. Comme chacun le sait, l’augmentation d’un stock tampon se fait toujours au détriment de la trésorerie.
Quels sont selon vous les premiers symptômes d’une trésorerie menacée qui doivent alerter un titulaire ?
Bertrand Cadillon.- Parfois ce sont des signaux faibles qui peuvent passer inaperçus comme un découvert en fin de mois lorsque les grosses échéances mensuelles sont passées sur le compte bancaire. En général, le traitement habituel, dans ce cas, est une demande de découpage d’une facture décadaire du grossiste. Si ce dernier est bienveillant, cela résout le problème momentanément. Parfois cela n’est pas suffisant et dans cette hypothèse il faut se poser les bonnes questions car le monde bancaire est aujourd’hui plus vigilant et aussi et surtout parce que le coût financier d’un découvert chronique devient désormais très cher. En septembre 2023, les taux de découvert autorisé avoisinaient les 13 % par an pour les professionnels ! Donc en résumé, on ne se laisse pas déborder puisque l’on sait que 2023 et 2024 seront des années plutôt compliquées et, en pratique, on fait une analyse sérieuse avec son cabinet comptable pour prendre rapidement les bonnes décisions.
Si, en revanche, la situation de trésorerie est satisfaisante comment faire fructifier les liquidités dans un contexte inflationniste ?
Philippe Becker.- Restons sur une note positive, la grande majorité des trésoreries des pharmacies sont au-dessus de leur ligne de flottaison. Dans ce cas il faut rencontrer son banquier pour envisager de placer à court ou moyen terme sur des produits qui existent sur le marché et il n’y en a pas beaucoup. Le plus pratique est le compte à terme, dit CAT. Ce placement avait été délaissé pendant longtemps car il y a encore quelques mois il rapportait entre 0,50 et 0,75 % par an. Il présente le grand avantage d’être sans frais d’entrée et sans risque en termes de capital, hormis l’hypothèse de faillites en chaînes de banques. Aujourd’hui, les CAT sont rémunérés dans les réseaux traditionnels entre 2,5 et 3 %, sur des durées de l’ordre d’un an. Il est possible d’avoir plus mais cela suppose de bloquer sur 2, voire 3 ans. Bien évidemment, on évite les placements boursiers et les cryptomonnaies dans un contexte professionnel…
Bertrand Cadillon.- N’oublions pas non plus les comptes bloqués des grossistes qui sont principalement alimentés par les avantages commerciaux dont la rémunération est intéressante avec une bonne disponibilité.
Cependant comment s’y prendre pour évaluer la somme à placer ?
Bertrand Cadillon.- Il faut faire une prévision de trésorerie sur un an pour estimer ce qui peut être mobilisé et sur quelle durée. On va réfléchir avec son cabinet comptable sur la base de ce que l’on connaît, c'est-à-dire la période de référence n-1 en intégrant les dépenses futures probables. Par exemple, des travaux pour la création d’une pièce « nouvelles missions », un changement d’informatique, etc. Il faut savoir que si on s’est trompé sur la prévision, ou si un événement imprévu est survenu, il est possible de reprendre l’argent sur le CAT par anticipation sans autre pénalité que la perte d’une partie de la rémunération.
La rémunération de ces placements que vous évoquez est avant impôt ?
Philippe Becker.- Oui, tout à fait et c’est à préciser : on n’échappe jamais à l’impôt ! Donc, selon le régime fiscal (impôt sur les sociétés ou impôt sur le revenu), le produit financier est taxable. Comme le disait en son temps Michel Audiard, il arrivera un jour où on n’aura plus que « l’impôt sur les os… »
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