LA PRESSE n’a pas perdu du temps pour poser les bonnes questions. Le baccalauréat ne doit-il pas être supprimé ou réformé ? Un contrôle continu des connaissances ne serait-il pas plus efficace ? Doit-on maintenir une institution qui n’existe qu’en France ? Ces questions seraient décisives si elles s’adressaient à un peuple ouvert aux réformes. D’une part, on a vite fait de rétorquer que le comportement délictueux de trois individus (auteurs de la fuite, ils ont été mis en garde à vue) ne devrait pas suffire à remettre en cause l’existence d’un examen auquel les Français accordent une importance cardinale. C’est vraiment, à leurs yeux, l’épreuve dont toute une vie dépend. La seule question qui compte, c’est avoir son bac ou pas. D’autre part, à cette vénération collective s’ajoute, naturellement, la peur de rester à la porte du paradis. Une peur qui mine plus les parents que les enfants, mais qui soumet ceux-ci à un stress inacceptable pour un âge tendre. Les voilà contraints, au nom du bac, à un bachotage aussi accablant que désespéré. Tout savoir ? La culture, dit-on, est ce qui reste après que l’on a tout oublié. Ce n’est nullement du baccalauréat que les adolescents devenus adultes se souviennent, mais de ce qu’ils ont appris au lycée, ou plutôt de ce qui les a suffisamment intéressés pour rester dans leur mémoire.
Le contrôle continu, c’est logique.
Tous ces arguments militent au faveur du contrôle continu, qui ne présente pas l’inconvénient d’une absorption massive mais vaine de tout le savoir dans toutes les disciplines, et a l’avantage de fixer par paliers, probablement de façon plus efficace, quelques notions essentielles. Le contrôle continu s’impose par sa logique. Et si les parents sont réfractaires au concept, c’est pour des raisons liées à la psychologie des masses : d’abord, ils souhaitent que leur progéniture accomplisse un parcours dans lequel ils se reconnaissent eux-mêmes et acquièrent de la sorte le sentiment de la continuité entre les générations ; ensuite le bac n’est plus, dans leur esprit, un passage, mais un trophée ; et l’idée même que leurs enfants ne le possèdent pas leur est insupportable. Ne pas l’avoir, même s’il n’existe plus, serait affreusement réducteur, créerait des générations d’incultes, abandonnerait d’entières classes d’âge à la jachère. C’est peu de dire que les parents se projettent dans les succès ou les échecs de leurs enfants ; que leur amour pour eux traduit parfois l’amour de soi-même, que ce qu’ils exigent pour eux représente une forme de dépassement d’eux-mêmes. Il se peut aussi qu’ils n’aient pas eu le bac eux-mêmes et veuillent enfin l’obtenir par procuration. Bref, l’ambition est pour le père ou la mère, l’enfer est pour le fils ou la fille.
Un diplôme dévalorisé ?
Nous exagérons ? À peine. Certes, on ne fait pas des enfants pour ne pas en être fiers. Mais les plus admirables des parents sont ceux qui aiment leur descendance sans en espérer la moindre récompense, fût-elle purement spirituelle. Et encore la France n’est-elle pas le lieu des pires contraintes infligées aux enfants. Il suffit de voir ce qui se passe au Japon ou en Chine, où on a vu des gosses se suicider parce que leurs performances ne correspondaient pas aux attentes de papa et maman. La notion même de bachotage, la bourrage de connaissances comparable au gavage de l’oie, l’esprit de compétition qui remplace l’épanouissement personnel, tous ces éléments laissent aux adolescents des souvenirs de leur baccalauréat qui ne sont pas forcément positifs. Alors qu’ils se rappellent, avec enchantement, des idées qu’ils ont découvertes et, dans de nombreux cas, de l’affection que leur inspiraient leurs professeurs les plus charismatiques, étant entendu que sévérité et séduction peuvent aller de pair.
Je vous le donne en mille : quand croyez-vous que l’on réformera le baccalauréat dans un pays qui demeure profondémenty hostiule à la réforme des retraites ? Quand admettra-t-on que le bac n’est plus ce qu’il était, qu’il est bradé, prépare mal aux études supérieures, n’assure pas un avenir puisque des bac + 5 ou 6 restent chômeurs ? Comment ne pas voir que la multiplication suspecte des mentions au bac traduit une dévalorisation du diplôme ? On répondrait jamais si la fréquence des fraudes, grâce à Internet, ne nous conduisait inévitablement au point de rupture.
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