- Non Madame, je ne peux pas vous le donner. Il faut une nouvelle ordonnance, répète Marion pour la énième fois à sa cliente dont le visage ne cesse de s’empourprer.
- C’est à chaque fois la même chose. C’est toujours compliqué avec vous. Comment je vais faire moi, sans ce médicament ? Ça me fatigue toutes vos règles stupides ! , s’époumone Véronique Mazarin.
Marion s’apprête à répondre mais se ravise. Véronique Mazarin fait partie de ces clients dangereux, qui n’hésitent pas à transformer un mot mal placé en une affaire d’État. Les titulaires de la Pharmacie du Marché peuvent en témoigner ; la « Mazarinade » (comme ils la surnomment) avait porté plainte contre eux à la suite d’une chute, lors d’un orage violent.
- Madame Mazarin, ces médicaments ne peuvent pas être prescrits plus de douze semaines, trois mois donc. Et si cette règle existe, ce n’est pas par hasard. En plus, quand je consulte l’historique de vos délivrances, je constate qu’on vous en a donné une boîte la semaine dernière. Normalement, il doit vous en rester…
Les yeux de la cliente foudroient Marion, qui ne se laisse pas démonter et soutient son regard.
- Maintenant que vous le dites, il doit en effet m’en rester une boîte, finit par concéder Madame Mazarin.
Au comptoir d’à côté, une femme brune sourit en entendant la mauvaise foi de Véronique Mazarin. Julien s’approche d’elle :
- Madame, comment puis-je vous aider ?
- Nous avons les mêmes problèmes en Italie. Des clients pas contents parce qu’ils ne veulent pas respecter les règles.
- Vous êtes italienne ?
- Italienne et pharmacien. Enchantée. Je suis en vacances chez des amis, et j’aime tellement venir en France.
- Vous parlez un français parfait.
- Ah, vous croyez ? J’ai travaillé en Corse, plus jeune. Mais maintenant, j’oublie des mots, c’est insupportable. En tout cas, sachez que vous avez de la chance d’être pharmacien en France.
Julien l’interroge du regard.
- J’adore la pharmacie française. Vous avez tellement de produits à conseiller, pour les petits problèmes de santé. Vous avez les plantes, l’homéopathie…
- Vous n’avez pas ça en Italie ?
- Si. Mais ce sont des laboratoires français. Toutes les gammes pour les soins du corps, la dermocosmétique, sont des marques françaises. La Poche Rosée, Mariage ou Ravenne. Le problème en Italie, ce sont les prix. Votre tube d’homéopathie, vous le vendez combien ? Deux euros et quelques ?
- Oui, c’est ça.
- En Italie, c’est 5 euros. Et pareil pour tous les produits de conseil, c’est plus cher. Vous avez vraiment de la chance.
Ravi de découvrir la pharmacie dans un autre pays européen, Julien nourrit la conversation et pose une tonne de questions auxquelles Maria, la pharmacienne italienne, répond avec plaisir. Vaccination, prescription d’antibiotiques, entretiens d’accompagnement, en seulement cinq minutes les deux pharmaciens européens survolent tous les sujets qui leur tiennent à coeur.
- C’était un plaisir. Je ne vais pas vous embêter plus longtemps, dit Maria.
- Plaisir partagé. Vous ne m’embêtez pas du tout, la fin de journée est très calme en ce moment.
- Vous êtes le propriétaire ?
- Pas encore, mais les démarches pour que je devienne le troisième associé sont en cours.
- Congratulazioni.
(à suivre…)
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