« UNE PURGE par semaine à l’aide d’un soda de 50 g de sulfate de magnésie, QSP 4 semaines. » Nous sommes le 1er juillet 2002, et ce n’est pas la première fois que cette ordonnance atterrit sur le comptoir de la pharmacie Z. à Livry-Gargan (Seine-Saint-Denis). Une préparation simplissime, certes, mais que l’officine a pourtant pris l’habitude de commander auprès d’un confrère « spécialisé », la pharmacie M. Le lendemain, les 4 sachets scellés de 50 g sont délivrés à la patiente, Mme T., une quinquagénaire plutôt en bonne santé, hormis quelques troubles digestifs bénins, mais anciens. La suite ressemble à un mauvais rêve. Rentrée chez elle, Mme T. est surprise par l’aspect de la poudre contenue dans les sachets. « On dirait de la farine tamisée, alors que d’habitude, les grains sont plus grossiers et plus blancs », dira-t-elle. Et pour cause, la préparatrice a confondu le flacon de sulfate de magnésium avec celui de sulfate de manganèse. Dans le doute, la patiente appelle la pharmacie Z. et explique à l’adjoint qui l’a servie l’objet de ses inquiétudes. « Vous pouvez y aller », lui répond l’officinal après avoir rapidement vérifié sur l’ordonnancier que la préparation était bien destinée à sa cliente. Une heure plus tard, Mme T. s’allonge, en prise à des douleurs abdominales violentes accompagnées de nausées. Sa fille rappelle le pharmacien qui recommande alors vive-
ment la prise d’un comprimé de Zyrtec. Un conseil également prodigué par le médecin traitant de la patiente contacté dans la foulée. L’état de Mme T. se dégrade à une telle vitesse que son entourage finit par alerter le SAMU. Pas disponible. Les pompiers sont alors appelés à la rescousse. Ils mettront presque 1 heure à arriver… La patiente est enfin transportée à l’hôpital de Montfermeil où, là encore, elle attendra 1 h 30 aux urgences avant d’être prise en charge. Mais il est trop tard, son état s’est encore dégradé. À 23 heures, les médecins constatent son décès par « choc anaphylactique accompagné d’un œdème laryngé ».
La défense plaide une responsabilité partielle.
Depuis que la chose est possible, soit un peu plus de deux ans, c’est la première fois que des particuliers portent plainte contre des pharmaciens directement auprès de l’instance ordinale. Devant la chambre de discipline du conseil régional de l’Ordre d’Île-de-France, les deux filles de Mme T., en qualité de plaignantes, sont ainsi confrontées aux professionnels qui, indirectement, ont causés la mort de leur mère. Accompagnées de leur avocate, elles resteront dignes et muettes durant toute la durée des séances. Cette terrible affaire a bien sûr déjà été jugée au pénal, la préparatrice et l’adjoint ont été condamnés à 18 mois de prison avec sursis. Mme C., titulaire de la pharmacie M., a, quant à elle, été condamnée à 12 mois avec sursis. Mais ce matin, c’est devant ses pairs que cette dernière se présente. Élégante femme au regard clair fixé droit devant elle. C’est dans son officine qu’a été confectionnée la fatale préparation. « Au-delà du respect des bonnes pratiques de préparation, Mme C. veillait à éviter toute monotonie chez ses employés. Un système de roulement des taches par demi-journée permettait ainsi de rompre l’impression de routine préjudiciable à la vigilance », explique pourtant son avocat. Les préparations sollicitaient donc trois employés, détaille-t-il : un pour la réception des commandes, leur saisie informatique et la rédaction d’une fiche de travail, un autre pour la pesée et son contrôle, et un troisième pour vérifier la conformité de l’étiquette à l’ordonnancier. « Quant aux contrôles exercés par Mme C., ils ont été à la hauteur de la préparation réalisée, justifie le défenseur. En effet, un arrêt de 1992 stipule que ce contrôle doit être d’autant plus strict que la préparation est compliquée et que le préparateur est inexpérimenté. En l’espèce, la préparation était une simple pesée et l’opératrice, une préparatrice chevronnée. On peut comprendre que le contrôle de Mme C. ait été sommaire… »
Un enchaînement de causes.
Voilà donc pour la défense de la pharmacie sous-traitante qui plaide la responsabilité partielle de sa cliente. Quoi qu’il en soit, c’est bien un enchaînement de responsabilités qui semble à l’origine du drame. Car au-delà de l’erreur de fabrication, la délivrance de la préparation dans la pharmacie Z. a accumulé les irrégularités, souligne Me Teboul, avocate des plaignantes pour qui « le recours systématique et non justifié à la sous-traitance, et l’irrespect des règles de prudence à l’issue de la délivrance sont des manquements caractérisés ». Mais c’est surtout le caractère occulte de la délivrance qui a été fatale à Mme T., assène l’avocate. L’absence d’étiquette mentionnant l’origine première de la préparation n’a en effet pas permis à la patiente de donner le « bon coup de fil », celui à l’officine de Mme C., en charge de la préparation, qui aurait pu plus sûrement retrouver la source de la confusion. Au total, comme dans le « Swiss-Cheese Model » – modèle bien connu d’analyse du risque en avionique ou en pharmacovigilance –, c’est la concomitance de plusieurs erreurs qui a entraîné l’accident. M. Z., titulaire de l’officine dispensatrice, était en congé au moment de la délivrance par son adjoint remplaçant. L’étiquette du sous-traitant a été collée sur l’ordonnancier et non pas sur les sachets. Les secours ont tous eu, pour une raison ou pour une autre, du retard dans la prise en charge de la patiente. Et surtout, l’adjoint qui a fait la délivrance, n’a pas jugé nécessaire de rappeler la préparation à l’officine pour vérification.
On le voit, au-delà de ce cas particulièrement dramatique de dysfonctionnement, cette malheureuse affaire met en lumière les risques inhérents à la sous-traitance. Une pratique qui ajoute un échelon dans la chaîne de dispensation et, par là même, un niveau de risque supplémentaire à l’acte pharmaceutique.
Pour avoir délivré à son confrère une préparation défectueuse, Mme C. écopera de deux ans d’interdiction d’exercer dont 18 mois avec sursis. De son côté, M. Z., titulaire de l’officine où s’est faite la délivrance, est con-damné à 12 mois d’interdiction assortis de 9 mois de sursis. Quant à l’adjoint acteur de la dispensation mortelle, il avait reçu le jugement de ses pairs, un simple blâme, il y a quelques mois.
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