ET DE TROIS… Après deux échecs en appel et en cassation lors de la précédente campagne, les représentants des pharmaciens impliqués dans la contestation de la dernière campagne Leclerc viennent d’essuyer un nouveau revers devant la Cour d’appel de Colmar. Les demandeurs (Univers Pharmacie, l’UGDPO et la société Direct Labo) voyaient dans la campagne Leclerc, d’une part une publicité de nature à induire en erreur au sens de l’article L 121-1 du code de la Consommation, et, d’autre part, des faits de concurrence déloyale ou parasitaire. Pour sa défense, Leclerc soutenait qu’il s’agissait d’une campagne d’opinion fondée sur la liberté d’expression.
La Cour écarte la publicité mensongère, au motif que les Leclerc n’ayant pas la possibilité légale de commercialiser des médicaments on ne peut leur reprocher : « d’avoir effectué une publicité trompeuse sur un produit dont ils n’avaient pas la disposition et qu’ils ne pouvaient pas mettre en vente. » Elle écarte pour la même raison les accusations de concurrence déloyale ou parasitaire et en conclut que Leclerc « est fondé à se prévaloir de la liberté d’expression reconnue à l’article 10 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme pour mettre en avant les résultats d’une enquête dont l’objectivité n’est pas sérieusement mise en cause ».
Ce nouveau déboire devrait être l’occasion de s’interroger sur un changement de stratégie dans la réponse à apporter à ce type de campagne, et, au delà, à tous les tenants d’une libéralisation de la distribution du circuit du médicament. Car c’est bien là que se situe l’enjeu, même si la campagne Leclerc ne porte que sur les médicaments non remboursés, il faudrait être naïf pour ne pas voir les arrières pensées qu’elle comporte.
On en veut pour preuve le fait que si M. Leclerc tient tellement à commercialiser des médicaments non remboursés, il pourrait le faire dès aujourd’hui et en toute légalité. En effet, depuis un arrêt Doc Morris rendu le 11 décembre 2003 par la Cour de justice des communautés européennes (CJCE), il est possible dans l’union européenne de commercialiser des OTC en ligne et de façon transfrontalière, échappant ainsi à la législation et aux Ordres français.
Au-delà des OTC, cette campagne attaque donc le monopole sous toutes ses formes et, quelques mois après les arrêts de la CJCE du 19 mai 2009, Leclerc aura donc été le premier à sonner la contre-offensive, suivi de près par le rapport Longuet (cf. notre commentaire dans ces colonnes).
Si l’on doit reconnaître un talent à M. Leclerc, c’est bien celui de savoir maîtriser sa communication et il est évident que les termes et les visuels employés dans sa dernière campagne ont été soigneusement choisis et sans doute soumis à l’aval d’un bataillon d’avocats, pour éviter de prêter le flanc à une condamnation judiciaire.
Cette campagne devait avoir l’effet d’un chiffon rouge agité devant le nez d’un taureau : elle devait provoquer une riposte mais une riposte inefficace. La réaction de certains pharmaciens était anticipée par Leclerc qui en attendaient un double avantage : d’une part une victoire judiciaire et, d’autre part, une victoire en termes d’image. Il s’agissait, comme toujours, de se poser en défenseur des consommateurs face à des pharmaciens arc-boutés sur leurs privilèges. Aujourd’hui, force est de constater que ce but a été atteint, puisque dans son communiqué de victoire M. E. Leclerc se pose une nouvelle fois en victime de pharmaciens qui ont tenté de l’empêcher de communiquer, plutôt que de répondre aux questions de fond.
Pour autant, cet échec ne doit pas faire renoncer à défendre et à restaurer l’image du pharmacien d’officine ; encore ne faut-il pas se tromper d’argument. Ce n’est pas en remettant en cause, comme on a pu l’entendre, la compétence des pharmaciens employés par Leclerc. Ce sont des confrères qui disposent du même diplôme que les pharmaciens d’officine et remettre en cause leur compétence revient à se critiquer soi-même. Le problème se complique du fait que le message Leclerc est facile à faire passer (avec Leclerc, le prix des médicaments baissera), alors que celui des officinaux nécessite une plus grande pédagogie.
Cela soulève deux questions : quels arguments invoquer et par quel biais ?
1°/ retourner les arguments de l’adversaire contre lui :
L’idée de la grande distribution a toujours été de prétendre que vendre en plus grande quantité permettait de faire baisser les prix. C’est peut-être vrai en matière de saucisson ou de chaussettes, mais, en matière de santé publique, c’est non seulement faux, mais surtout néfaste. Ce type de logique aboutit inévitablement à la surconsommation médicamenteuse excessivement dangereuse pour la santé des patients. Pour reprendre l’exemple du pharmacien Leclerc, il faut faire comprendre qu’il sera sous un lien de subordination vis-à-vis de son employeur, et qu’il perdra, de ce seul fait, une grande partie de sa liberté. Il sera en effet jugé à la même aune que celui du rayon charcuterie ou fruits et légumes : celle de la rentabilité. Qu’on le veuille ou non, ce pharmacien sera donc tiraillé entre deux exigences contradictoires : d’une part augmenter les volumes vendus pour satisfaire son patron, et, d’autre part, le risque d’une surconsommation pour les patients. Laquelle choisira-t-il ? Les officinaux ont fait de longue date la démonstration que ce reproche ne pouvait leur être adressé, du fait que leur rapport aux patients s’effectue dans une approche plus globale de santé publique, encore renforcée par les nouvelles missions reconnues par la loi HPST. L’argument des volumes est donc au mieux totalement dénué de sens en matière de santé publique, et, au pire, néfaste pour la santé des patients. On a pu le vérifier en Italie ou les Leclerc ont obtenu l’autorisation de vendre des OTC sans que l’on constate une baisse significative des prix. Dès lors, quelle est l’utilité d’un Leclerc dans le circuit du médicament ? Aucune, si ce n’est son propre profit… Il s’agit d’un message fort pour le grand public qui est à la fois consommateur et patient potentiel et qui apprécie peu que l’on joue avec sa santé. Encore faut-il le faire passer.
2°/ impliquer les officinaux :
Il relève de l’évidence que la profession ne dispose pas des moyens de communication dont jouissent les grands groupes de distribution, mais a-t-elle conscience qu’elle dispose de beaucoup mieux ? Elle bénéficie en effet d’un réseau de 22 600 pharmacies qui touchent chacune en moyenne 2 620 patients qui sont, par définition, très attachés à leur santé. Aucun autre réseau de communication n’offre la possibilité de toucher autant de personnes sensibilisées au message à faire passer. Encore faut-il que chacun se convainque que son officine peut et doit être le véhicule du message à faire passer en réaction à ce type d’attaque. Il faut également souhaiter que les réflexions actuellement en cours au niveau de l’Ordre aboutissent rapidement à une certaine libéralisation de la communication des officinaux, pour que ceux qui le souhaitent puissent unir leurs moyens pour réagir. Face aux appétits de la grande distribution, il est primordial de remporter la bataille de l’image. La préservation du système actuel est à ce prix. C’est en s’impliquant personnellement (et en impliquant leur personnel) dans cette bataille que les officinaux en sortiront vainqueurs.
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