Premier constat : tous les médicaments qui décrochent une autorisation de mise sur le marché (AMM) n’arrivent pas sur le territoire français. Au 31 décembre 2022, seulement 49 % des médicaments ayant eu une AMM entre 2018 et 2021 sont disponibles pour tous les patients français, auxquels s’ajoutent 17 % de médicaments accessibles par le biais de l’accès précoce pour un nombre restreint de malades. Autrement dit, 34 % des médicaments restent indisponibles sur le territoire français versus 13 % en Allemagne et 19 % en Italie. Que sont-ils devenus ? Selon le cabinet Roland Berger, auteur de cet observatoire, 11 % n’ont pas fait l’objet d’une demande de remboursement, « anticipant selon toute probabilité une évaluation négative », 10 % ont décroché un avis négatif de la Haute Autorité de santé (HAS) et 13 % sont toujours en cours d’évaluation par la HAS ou de négociation de prix avec le Comité économique des produits de santé (CEPS). Mais pour la plupart d’entre eux (69 %), dont la négociation de prix dure depuis plus de 500 jours, ils sont considérés « en impasse d’accès ».
Deuxième constat : les délais d’accès au marché ne respectent pas la directive européenne dite « Transparence » qui édicte un délai maximum de 180 jours entre la demande de l’industriel et la décision d’inscription au remboursement, soit 90 jours pour l’évaluation par la HAS et 90 jours pour la fixation du prix par le CEPS. « Malgré une réduction de 22 jours entre 2019 et 2022, le délai d’évaluation par la HAS (médiane de 140 jours) dépasse le délai légal européen dans 85 % des cas. Et on pressent une dégradation de ce délai du fait d’un périmètre étendu des missions de la HAS au regard d’une stabilité de ses effectifs », relève Julien Gautier, Senior Partner du cabinet Roland Berger. Le délai de négociation du prix (médiane de 252 jours) ne permet pas de gagner de temps, d’autant que s’y ajoute le délai administratif pour publication au « Journal officiel » de 110 jours en moyenne.
Accès dérogatoire
Résultat : en moyenne, les patients français ont accès aux nouveaux médicaments 380 jours après les Allemands, 179 jours après les Anglais et 72 jours après les Italiens. Dans ce contexte, le dispositif d’accès précoce, réformé en juillet 2021, est plébiscité puisqu’il réduit de 295 jours le délai moyen d’accès. Il reste néanmoins limité aux médicaments présumés innovants ciblant des maladies rares, graves ou invalidantes aux besoins thérapeutiques non satisfaits et à traiter en urgence. Cet accès dérogatoire a bénéficié à 51 000 patients depuis sa mise en place.
Troisième constat : les investissements en R & D et en production sont restés stables entre 2020 et 2021. La majorité des 27 laboratoires pharmaceutiques interrogés (64 %) n’envisagent pas de changement à venir dans les trois ans, voire pour 21 % d’entre eux une diminution de 5 à 15 % de leur investissement. Seulement 14 % pressentent une forte hausse d’investissement (supérieure à 15 %). Les freins à l’investissement qu’ils citent sont en premier lieu la complexité de la régulation (55 %) suivie par les coûts élevés de production (27 %) et les incertitudes du retour sur investissement (27 %). Plus précisément, les industriels déplorent la pression budgétaire à la française (clause de sauvegarde, système de fixation des prix et baisses de prix), l’inflation des coûts non répercutés sur le prix des médicaments et « l’imprévisibilité du contexte réglementaire » générant notamment une difficulté à anticiper la rentabilité financière. C’est pourquoi, sans surprise, la France se fait distancer par ses pairs européens dans la production de nouveaux médicaments, en particulier sur les princeps biologiques et les biosimilaires.
Perte de chance
Quatrième constat : « La France exporte de moins en moins les médicaments matures qu’elle produit et importe de plus en plus de produits innovants qu’elle ne produit pas suffisamment », explique Julien Gautier. L’excédent commercial de 2,8 milliards d’euros enregistré en 2021 est en recul de 55 % par rapport à 2013 et fait passer la France de la 3e à la 9e place au classement européen du solde commercial.
En synthèse, note Christophe Durand, président de la commission Accès du LEEM, « c’est un bilan en demi-teinte, la France est un élève très moyen de l’Europe et loin de pouvoir revendiquer une quelconque position de leader en santé ». Il pointe en particulier les délais d’accès au marché français ainsi qu’une « moindre mise à disposition de médicaments pourtant évalués positivement par l’EMA qui constitue une perte de chance pour les patients français ». Ce qui pose une autre question : « Pourquoi réévaluer le bénéfice-risque d’un médicament après la Commission européenne ? » C’est la raison pour laquelle, rappelle le président du LEEM Thierry Hulot, les industriels attendent impatiemment « les conclusions de la mission d’experts, nommée par la Première ministre Élisabeth Borne, sur le système de financement et de régulation des produits de santé ». Tout comme ils seront très attentifs aux « décisions budgétaires qui seront prises à l’automne dans le cadre du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2024 ».
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