Voilà des années que l’e-santé est annoncée, anticipée, crainte et espérée. Si beaucoup y voient un incroyable potentiel pour les professionnels de santé, où applications et logiciels numériques boostés par l’Intelligence Artificielle servent d’assistants, voire de collègues, d’autres redoutent que les données de santé finissent entre de mauvaises mains. Mais pour les pharmaciens l’e-santé se conjugue déjà au présent. Avec la téléconsultation, le dossier pharmaceutique, « Mon espace santé », et demain l’arrivée de l’e-ordonnance, l’officine est déjà passée du papier au numérique.
Pour la profession, cette transition marque un tournant significatif, en même temps qu’elle soulève une question propre au métier de pharmacien : Comment garantir la protection de ces données ?
Adopter les bons comportements
Pour Claude Marodon, président de la délégation Réunion-Mayotte au Conseil national de l'Ordre des pharmaciens (CNOP), la protection des données n’est pas une question nouvelle : « Même avant l'avènement de ces technologies, le secret professionnel constitue déjà un pilier essentiel de notre exercice. Dans cette perspective, il est impératif que notre profession adopte les attitudes nécessaires pour éviter d'éventuelles fuites de données. » Car les premiers responsables de ces fuites potentielles sont des équipes officinales trop insouciantes. « Un certain nombre de pharmaciens envoient ces données par des messageries personnelles ou des applications qui ne sont pas sécurisées », constate Claude Marodon. Il recommande aux pharmaciens de se référer au guide des bonnes pratiques RGPD, élaboré par l’Ordre et la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), et spécifiquement créé pour cadrer les comportements des professionnels de santé.
Certains créateurs de logiciels, comme Thibault Ozenne, directeur et fondateur de Phealing (spécialiste dans la sécurisation de la délivrance d'ordonnances via l’IA), sont en première ligne : « Nous menons des actions de sensibilisation des gestes de base auprès du personnel officinal, ainsi il faut absolument éviter de faire figurer le nom du patient en version lisible dans un e-mail, d’envoyer des ordonnances via WhatsApp, de même il faut changer régulièrement les mots de passe. »
Car si les nouvelles technologies et les outils associés sont numériques, la première ligne de défense contre la fuite de données reste le comportement humain. Sans évolution de ce dernier, et faute d’application des réglementations et attitudes à adopter, le numérique et les technologies IA seront une poule aux œufs d’or pour les fraudeurs, hackers et autres cybercriminels. « Il y a de plus en plus d'échanges de données entre les spécialistes et les professionnels de santé, ainsi qu'avec les patients, rappelle Arnault Billy, vice-président de la Fédération des éditeurs d’informatique médicale et paramédicale ambulatoire (FEIMA). Ces flux peuvent être interceptés, ce qui rend nécessaire leur sécurisation. Celle-ci ne passera que par la formation et la sensibilisation du personnel officinal. »
Une formation initiale dépassée
Sur ce sujet, Erdem Aydin, vice-président en charge du numérique en santé de l'Association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF), appelle à une remise en question de la formation en faculté : « Il y a des manquements aujourd’hui, car tous les systèmes du numérique en santé se développent plus vite que la formation initiale. De nombreuses compétences nécessaires à la pratique de la pharmacie en sont absentes ! » D’autant que cette carence de formation risque d’être particulièrement pénalisante dans le futur. « Le numérique, c’est aussi de l’innovation, mais comment peut-on espérer voir la France innover si personne ne sait comment faire ? », avance-t-il, alertant sur un potentiel déclassement du pays.
L’IA doit, et va rester un outil. Elle ne peut à aucun moment remplacer les interactions humaines entre les pharmaciens et patients.
Arnault Billy, vice-président de la Fédération des éditeurs d’informatique médicale et paramédicale ambulatoire (FEIMA)
Quelle sécurité pour les outils numériques ?
Un autre point d’inquiétude porte sur le degré de sécurité des outils numériques. Pour Claude Marodon, bien que le problème soit pris au sérieux par leurs éditeurs et que des progrès notables ont été accomplis, « les LGO sont encore trop ouverts ». Or, les cyber-attaques ne touchent pas que les autres. « Beaucoup visent les hôpitaux et les laboratoires d’analyses médicales, mais les officines sont également dans la ligne de mire ! », alerte Arnault Billy, qui explique que toutes les pharmacies, peu importe leur taille ou leur région d’origine, sont potentiellement concernées.
Au final, l’IA ne risque-t-elle pas de se substituer aux professionnels de santé, plus prompts à l’erreur ? « Jamais, assure Arnault Billy, l’IA doit, et va rester un outil. Elle ne peut à aucun moment remplacer les interactions humaines entre les pharmaciens et patients. Si la sécurisation des ordonnances est un domaine où l’IA jouera un rôle très important, elle reste là pour faire gagner du temps au pharmacien afin qu'il puisse consacrer plus de temps à ses patients et moins à des tâches administratives ».
En attendant que les LGO soient sécurisés, que les outils numériques soient tous arrivés et que les pharmaciens soient correctement formés, faut-il craindre une fuite massive de données ? Sur ce point, c’est Xavier Vitry, directeur de projet la délégation ministérielle du numérique en santé (DNS) qui a fourni la réponse : « Les données de l’assurance-maladie sont hébergées dans des datacenters en France et en région parisienne. Nous investissons beaucoup dans leur sécurité et, sans vouloir être présomptueux, les risques sont très faibles. » L’avenir le dira.
D’après la table ronde « La protection des données à l’heure de l’Intelligence Artificielle, de l’innovation technologique en pharmacie », organisée par « Le Quotidien du pharmacien », le 10 mars, dans le cadre du salon PharmagoraPlus, .
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