Et si cette nouvelle feuille de route était celle qui permettait de sortir de l’ornière les officines et, avec elles, toute la chaîne du médicament ? Après plusieurs initiatives similaires et diverses mesures pour enrayer l’amplification des ruptures de médicaments, la profession semblait avoir perdu tout espoir de voir se résoudre un problème qui mobilise chaque semaine l’équipe officinale pendant plus de 10 heures. Deux ministères - le ministère de la Santé et de la Prévention et celui de l’Industrie et de l’Énergie - déclarent aujourd’hui vouloir prendre à bras-le-corps un phénomène difficile à circonscrire tant ses raisons sont multiples. Production, prescription et prix – tout particulièrement en France — sont les principaux facteurs des pénuries de médicaments. Leur identification n’est pas récente, mais cette dernière feuille de route promet de s’attaquer à chacune de ces causes. Parviendra-t-elle cependant à être appliquée ?
Rien de foncièrement novateur
Le gouvernement, en tout cas, met de l’ordre dans les multiples initiatives lancées depuis 2019 par pas moins de quatre ministres de la Santé successifs. En articulant ces différents dispositifs autour de quatre axes, cette feuille de route 2024-2027 a donc le mérite de donner plus de lisibilité à l’action pour les quatre années à venir « afin de garantir la disponibilité des médicaments et assurer à plus long terme une souveraineté industrielle ». Rien de foncièrement novateur par conséquent. Le gouvernement puise ainsi, avant tout, dans la boîte à outils que constitue la Loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS) pour 2024. C’est le cas de la dispensation à l’unité (DAU) qui peut être imposée aux pharmaciens en cas de tensions. Ou encore le recours au renforcement des pouvoirs de police sanitaire, notamment de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), pour réguler les stocks et contrer les pratiques de vente directe par les laboratoires quand un médicament est en rupture. Toujours dans ce cadre législatif, on retrouve également les ordonnances conditionnelles d’antibiotiques après la réalisation d’un TROD et le recours aux préparatoires spéciaux.
Le DP-Ruptures au cœur du réacteur
Cette feuille de route 2024-2027 revient sur la publication le 13 juin dernier de la liste des médicaments essentiels et sur la hausse de 10 % des prix pour l’amoxicilline, en vigueur depuis le 1er octobre. Elle reprend également l’instauration d’une surveillance des produits à forte saisonnalité instaurée en 2023 par l’ANSM ainsi que les éléments de la charte d’engagement signée le 22 novembre dernier par les acteurs de la chaîne du médicament pour un accès équitable des patients aux médicaments.
Autre signe que le gouvernement bâtit sa stratégie sur de l’existant : Le DP-Ruptures, familier des officinaux et développé par l’Ordre des pharmaciens, sera désormais la pierre angulaire du système d’information de l’ensemble de la chaîne du médicament. Il contribuera à davantage de transparence et d’agilité dans les prises de décision. « Nous avons besoin d’un outil partageable qui fournisse de l’information et s’il répond aux besoins, le DP-Ruptures sera accepté par tous », a précisé Grégory Emery, directeur général de la Santé, ajoutant que les travaux d’élargissement du DP-Ruptures seraient menés cette année. « Il n’a cependant pas vocation à remplacer les initiatives privées et/ou individuelles qui ont fait leur preuve. »
Tableaux d’équivalence et de concordance
Sur le volet de la prescription et de la dispensation, la feuille de route prévoit l’élargissement du switch, ce dispositif que les pharmaciens ont déjà pu expérimenter à l’hiver 2022-2023 ou encore à l’hiver 2023-2024 avec le paracétamol et les corticoïdes. Il est appelé à être déployé sous la forme d’un tableau d’équivalence établi par l’ANSM, qui permettra aux officinaux en s’y reportant de remplacer les médicaments en rupture par un médicament disponible, sans solliciter le prescripteur. Comme le détaille Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), « l’objectif est désormais de pouvoir anticiper en travaillant en collaboration avec la Haute Autorité de santé (HAS) afin de mettre des priorités sur les spécialités en situation de monopole ou en situation complexe de tensions ou de pénuries afin de pouvoir mobiliser à froid ces tableaux d’équivalence qui seraient déployés lorsque la situation le nécessite ». Ces premiers tableaux d’équivalence seront disponibles dès cette année, promet la feuille de route.
L’objectif est désormais de pouvoir anticiper en travaillant en collaboration avec la Haute Autorité de santé
Christelle Ratignier-Carbonneil, directrice générale de l’ANSM
Par effet miroir, côté prescripteur, les logiciels d’aide à la prescription (LAP) seront alimentés d’une liste de concordance des médicaments. Après une phase pilote, ce dispositif devrait en mis en place progressivement à partir de 2025. Dans l’information des patients, notamment sur les antibiotiques, les médecins sont également sollicités via l’instauration d’une ordonnance de non-prescription. « Celle-ci doit expliquer pourquoi il n’a pas été prescrit d’antibiotique et préciser la conduite à tenir si les symptômes persistent ». Rendre solvable la production nationale
Nombreux au guichet
La feuille de route rebondit également sur les déclarations du président de la République concernant la relocalisation de la production en France. Il s’agit, décrit Mathilde Bouchardon, conseillère santé au cabinet de Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’Industrie et de l’Énergie, d’actionner trois leviers : accélérer le retour des industries du médicament, freiner leur départ du territoire français et coordonner les actions au niveau européen.
Accélérer le retour des industries du médicament, freiner leur départ du territoire français et coordonner les actions au niveau européen
La liste de médicaments stratégiques pour lesquels une production en France est nécessaire a été élargie de 25 à 147 spécialités sur les quelque 450 que comporte la liste des médicaments essentiels. Il s’agit aussi de ceux pour lesquels la France dépend le plus des importations – non européennes. Selon Mathilde Bouchardon, les industriels candidats à la relocalisation s’étant pressés au guichet « France 2030 » sont plus nombreux qu’attendus et la liste des lauréats devrait être connue fin avril début mai.
L’argument prix
Hormis les subventions dont elles bénéficieront, ces industries ont besoin de garanties pour subsister sur le sol français. Plusieurs outils sont envisagés. Les hôpitaux publics doivent ainsi, par leur politique d’achats publics, assurer des débouchés à ces laboratoires implantés dans l’Hexagone. « Nous ne perdons pas de vue que le levier tarifaire, c’est-à-dire le prix, est nécessaire à la viabilité économique de ces entreprises et nous sommes prêts en contrepartie d’un engagement de ces industriels à garantir la sécurité de l’approvisionnement », déclare Mathilde Bouchardon. Pour freiner les départs, la LFSS 2024 prévoit d’ores et déjà que tout fabricant de médicament d’intérêt thérapeutique majeur, pour lequel il n’existe aucune alternative, ne peut quitter l’Hexagone sans trouver de repreneur. En dernier recours, il devra céder l’AMM à un opérateur public.
Quant au levier prix, déterminant si l’on en croit les observateurs du marché européen, le gouvernement est prêt à lâcher du lest, dans le périmètre des 450 médicaments essentiels. Ainsi, comme l’expose Mathilde Bouchardon, « Si un industriel a des craintes pour la pérennité de sa production en raison du niveau tarifaire, le Comité économique des produits de santé (CEPS) pourra statuer sur une revalorisation du prix, de manière pratico-pratique. Sous réserve bien sûr que le fabricant en apporte la démonstration ».
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