EN SITUATION de crise, elles sont comme propulsées au-devant de la scène. Elles, ce sont les grandes agences sanitaires. La crise de la vache folle décime les troupeaux ? L’AFSSA se remonte les manches et communique à tout va. La grippe A(H1N1) menace la planète ? InVS et HAS montent au créneau et combinent leurs actions pour gérer la nouvelle alerte. Le plus souvent, c’est lorsqu’il faut informer le public que ces structures sortent de l’ombre où les cantonnent leurs missions administratives et institutionnelles. Mais que sont au juste ces agences, et quels sont leurs rôles ?
« Établir une liste exhaustive des organismes concourant à la politique de sécurité sanitaire est un exercice particulièrement délicat (…) et s’explique tant par la difficulté à définir le concept d’agence qu’à délimiter le périmètre exact de la sécurité sanitaire », commente Nicole Bricq, élue socialiste de Seine-et-Marne, dans le rapport d’information du Sénat sur les agences de sécurité sanitaire rendu le 27 juin 2007. À ses yeux, il existe en France « quatre agences de sécurité sanitaire stricto sensu », à savoir l’InVS, l’AFSSA, l’AFSSAPS et l’AFSSET. D’autres structures occupent une place importante telles que la HAS, l’INPES, l’INERIS, etc. Auxquelles viennent « se greffer divers comités et commissions ad hoc mis en place au sein de ministères » : Comité national de santé publique, Comité de la sécurité des consommateurs, Commission nationale de toxicovigilance, Haut Conseil de santé publique, etc. À cette première difficulté s’ajoute leur hétérogénéité, à la fois au regard de leurs effectifs, leur budget, leur statut juridique, leur mode de financement… Principalement créées dans l’urgence, ces agences voient se profiler le risque de chevauchement des compétences, voire de doublons.
Les premières agences sanitaires voient le jour en 1988 avec l’ANRS et l’AFLS (dissoute en 1994, la DGS a repris ses missions), alors que le virus du sida a été identifié et que l’épidémie est déclarée. La France se trouve alors confrontée à plusieurs crises sanitaires : sang contaminé et Distilbène en 1983, Tchernobyl en 1986, hormone de croissance en 1991, amiante en 1995, vache folle l’année suivante, canicule et SRAS en 2003, Vioxx en 2004, grippe aviaire en 2005, grippe A(H1N1) en 2009… Au fur et à mesure, le pays construit son dispositif de sécurité sanitaire.
Réparer les carences.
« Les crises de santé publique ont révélé de manière dramatique les dysfonctionnements et les insuffisances du système de santé (…). La création et le développement des agences ont également été analysés comme le produit de l’émergence et de l’extension de la notion de sécurité sanitaire au cours des années 1990*. » Déjà soulignées par l’épidémie du sida, l’affaire du sang contaminé va pointer du doigt les faiblesses du système de santé : peu de pouvoir, manque de personnel, missions déléguées le plus souvent à des associations. Pour réparer ces carences, la France se lance dans la création d’agences sanitaires, notamment l’AFS en 1992, puis l’EFG en 1993. Parallèlement, la nécessité de prendre en charge globalement le système de santé a conduit à la naissance de l’ANDEM en 1990 et du RNSP en 1992. « La création de l’Agence du médicament se situe davantage dans le cadre du développement de la coordination européenne en matière de médicament qui aboutira à la création d’une Agence européenne du médicament en 1995 (quand la fameuse Food and Drug Administration américaine existe depuis 1927 – NDLR) qu’à une réaction sanitaire aux crises de santé publique »*. Le rôle des crises n’est donc pas négligeable, même si elles n’expliquent pas tout.
Pour Didier Tabuteau**, trois vagues de création d’agences se sont succédé. La première est une réponse aux problèmes du sida, tandis que la 2e est tournée vers la mise en place « d’autorités chargées de fonctions d’évaluation, de contrôle ou de régulation d’une activité sanitaire », en même temps qu’apparaît « la notion de sécurité sanitaire ». La 3e vague commence en 1998 avec l’extension de cette notion et la naissance de l’AFSSA et de l’InVS, ainsi que celle de l’AFSSAPS, qui reprend les compétences de l’Agence du médicament en plus étendu.
Les risques émergents.
Cette 3e vague est une réponse à des rapports qui appellent à la clarification et au renforcement des fonctions de veille et de sécurité sanitaire des agences. Après l’alimentation, la sécurité sanitaire s’étend à l’environnement avec la création de l’AFSSE (2001), qui deviendra l’AFSSET (2005) avec la prise en compte de la thématique du travail. La mutation continue : en juillet prochain, l’AFSSET va fusionner avec l’AFSSA pour devenir l’ANSSAET. Selon Marc Mortueux, actuel directeur de l’AFSSA qui va prendre la tête de la nouvelle agence, l’ANSSAET devra « se positionner sur les risques émergents », notamment « les risques psychosociaux », et plus largement « appréhender des expositions cumulées, que ce soit par le travail, l’environnement ou l’alimentation ». Pour Roselyne Bachelot, c’est l’occasion de répondre aux sempiternels reproches sur le « trop d’agences » : « ces agences ont de nombreuses thématiques communes et leurs outils et moyens d’expertises sont complémentaires ».
Aujourd’hui, on reconnaît aux agences une meilleure gestion en temps de crise, des capacités d’expertise renforcée et une plus grande indépendance face aux intérêts économiques et politiques. Certaines faiblesses restent pointées du doigt : chevauchement de compétences, exercice difficile de la tutelle par les administrations, manque de coordination, etc. Pour y remédier, certains – comme Michèle Froment-Védrine, ancienne présidente de l’AFSSET – prônent la création d’une agence à tout faire sur le modèle de la FDA américaine. Une formule que d’autres voient d’un mauvais œil, craignant la mise à l’index de certains domaines, une perte de réactivité et l’émergence d’un « ministère de la Santé bis » éloigné de la réalité du terrain.
Ces préoccupations existent aussi au niveau communautaire. À la mi-mars, la Commission européenne a ainsi annoncé qu’elle souhaitait revoir la gouvernance des agences décentralisées de l’Union, « coûteuses et mal contrôlées », citant notamment le cas de l’EMEA.
**Premier directeur général de l’Agence du médicament (1993-1997) et chargé, en 2000, de la préparation de la loi sur le droit des malades, il a dirigé à deux reprises le cabinet de Bernard Kouchner au ministère de la santé (1992-1993, 2001-2002). Il a aussi été directeur adjoint du cabinet du ministre des Affaires sociales aux côtés de Claude Evin (1988-1991) et de Martine Aubry (1997-2000). Il est professeur associé et codirecteur de l’Institut droit et santé à l’Université Paris Descartes, directeur de la Chaire santé de Sciences Po où il est aussi professeur. Il est l’auteur de nombreux ouvrages en droit, économie et politique de la santé.
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