Les zones abandonnées de la République ne sont pas toujours les plus lointaines banlieues. À Bordeaux, le quartier Saint-Michel, en plein cœur historique, se sent tout aussi oublié, ses rues livrées aux dealers : « Le soir, mes préparatrices ne veulent plus traverser la rue voisine, explique Sabine Immer, pharmacienne du quartier. Ce n’est pas normal, on ne va pas se laisser interdire une rue, nous sommes dans une démocratie ! »
Présidente d’une des deux associations de commerçants du quartier, la jeune pharmacienne n’entend pas baisser les bras devant une situation qu’elle a vu se dégrader rapidement. « Je me suis installée il y a six ans, pour reprendre deux pharmacies de la place Saint-Michel que nous avons réunies en une seule. J’ai été séduite par ce quartier populaire et commerçant*, avec une vraie mixité sociale et son projet de réhabilitation. Les travaux ont duré quatre ans, avec toutes les difficultés économiques que cela impose : nous avons eu des barrières de chantier à un mètre de la vitrine ! Mais une fois la place inaugurée, en octobre 2015, le trafic de drogue a explosé. C’est simple : en novembre 2015, j’ai vendu 25 Stéribox ; en novembre 2016, 83 ! Cela montre l’évolution de la consommation de drogues dures (héroïne, cocaïne). »
Un engagement citoyen
Certes, Saint-Michel a toujours été un lieu de petits trafics, mais la situation a atteint des sommets : trafic et consommation en pleine rue, règlements de compte…
Aussi, Sabine Immer décide de réagir, et d’abord parler : « Mon engagement est d’abord citoyen, explique-t-elle, pour que les enfants et les ados puissent circuler sans se faire proposer de la drogue. Ici, nous sommes tous victimes, car les dealers n’habitent pas le quartier. Il ne faut pas confondre mixité sociale et trafic. Cela n’a rien à voir. » La peur ? « Je me l’interdis », répond-elle.
Cette mobilisation courageuse, relayée par les médias, commence à porter ses fruits. Les deux associations de commerçants de quartier vont fusionner pour parler d’une seule voix. La mairie et le conseiller général du secteur soutiennent les habitants dont les regards se tournent vers la police, accusée de déserter le quartier : « On ne tolérerait pas cela dans le Bordeaux chic », souligne cet habitant. « C’est toute l’hypocrisie de la situation », confirme Sabine Immer.
Mais là aussi, les choses évoluent. Depuis quelques semaines, enquêtes, arrestations, fermeture de bar… se multiplient.
Pharmacie sociale
La petite officine** de Sabine Immer, elle, va bien : « Le chiffre d’affaires progresse doucement, j’ai de bons espoirs. Certes, toxicomanes et dealers, agressifs et pressés, rendent parfois l’exercice du métier difficile. Mais nous demeurons à l’écoute de la clientèle du quartier et de ses besoins, comme l’explication des posologies aux personnes qui ne maîtrisent pas la langue (nombreux Bulgares et Sahraouis). Cela exige patience, tolérance, disponibilité… et une politique d’achat intelligente permettant à la population de se soigner au meilleur prix. Ici pas de produits Nuxe ou Caudalie… Jamais une grande surface ne pourrait assurer cette dimension sociale de la pharmacie. »
Une mission que Sabine Immer poursuit avec passion, même si elle en perçoit les limites : « Si la police chasse les dealers, ils iront ailleurs. Le véritable règlement du problème est social ; ce sont souvent des jeunes à qui on n’a rien proposé d’autre… Et si la rentabilité seule continue de faire tourner le monde, des quartiers comme le nôtre vont continuer à le payer cash ! »
* Le quartier compte 120 commerces de proximité d’une étonnante variété et diversité ethnique, ainsi que plusieurs marchés (textile, alimentaire et sa célèbre brocante du dimanche).
* Pharmacie de la Flèche : 2 associés, 2 préparateurs, 76 m² de surface de vente.
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