Tout l’exercice consiste à appréhender les résultats comptables de l’année écoulée en leur soustrayant les effets Covid. La tâche n’est pas mince lorsque l’on sait que sur un chiffre d’affaires en progression de 6 à 7 % (soit 1,8 million à 2,07 millions d’euros), la moitié de la croissance résulte des effets exceptionnels liés à la gestion de la crise Covid.
De même, en termes de marge brute, les quelque 60 000 euros engrangés au cours des douze mois de l’année 2021 contribuent à une rémunération officinale (ventes, honoraires de dispensation et ROSP) de 641 000 euros. « Soit une hausse de 10 % », note Emmanuel Leroy citant les résultats des officines suivies par KPMG. Cependant, tient-il à nuancer, « une fois retraitée, cette marge brute à laquelle on retranche les activités liées au Covid, ne progresse que de 4 % ! ». « TAG et vaccination, soit les activités à TVA de taux 0, constituent le gros de la marge, soit environ 40 000 euros », note de son côté Joël Lecoeur, concluant « l’effet Covid est le marqueur de cette année exceptionnelle ».
Des effets mécaniques
Dans ce contexte, rien d’étonnant à ce que l’EBE (excédent brut d’exploitation) suive les mêmes courbes ascendantes (voir graphique) et effectue un bond de 12,68 % (CGP), 15,56 % (KPMG), voire 17,7 % dans les officines suivies par Fiducial. De quoi gonfler la trésorerie. Les officines disposent en moyenne entre 169 500 euros et 215 100 euros, un « matelas » qui s’est étoffé de 15,4 %, 21,24 % et même de 29 % (KPMG) en un an. Une croissance aussi mécanique qu’exceptionnelle et qu’il convient de considérer en tant que manne, comme le conseillent les experts-comptables. Car ce « trésor de guerre » inédit, amassé pendant cette année 2 du Covid, risque fort de rester dans les annales de l’économie officinale.
Raison de plus de l’utiliser en investissant sur l’avenir. Car les mutations de l’exercice officinal exigent une remise en cause en profondeur de l’organisation de la pharmacie. « Il faut adapter les locaux aux nouvelles missions », recommande Joël Lecoeur, insistant sur un changement de paradigme. « Jusqu’à présent, la tendance voulait qu’on privilégie le point de vente au back-office, désormais ce sera l’inverse. » Pour peu qu’on dispose de la surface suffisante. Ce qui n’est pas toujours le cas, notamment dans les métropoles ou dans certaines communes d’Île-de-France. Le titulaire devrait-il être aujourd’hui plus cigale que fourmi ? Philippe Becker serait tenté de le lui conseiller dans ce nouveau cycle économique. « C’est l’occasion d’aller voir son banquier. Car c’est quand on a de l’argent qu’il faut lui en demander », sourit-il. Quand on ne dispose que de 60 ou 80 m2, pourquoi ne pas racheter le commerce d’à côté, ce qui permettra de se lancer dans les nouvelles missions prévues par la nouvelle convention pharmaceutique ?, suggère l’expert-comptable, conseillant dans ce cas « d’emprunter pour conserver sa trésorerie ». Une stratégie d’autant plus gagnante, selon Philippe Becker, que les officines « qui auront de la surface seront les mieux valorisées lors de leur cession ».
25 % n'atteignent pas la marge brute médiane
Ce pari sur l’avenir ne sera cependant pas accessible à toutes les officines. Car, aussi exceptionnelle qu’elle soit, l’année 2021 laisse sur le bord du chemin un quart du réseau officinal, comme le souligne Emmanuel Leroy. L’expert-comptable pointe ainsi du doigt 25 % des officines dont le taux de marge aura été inférieur au taux de marge médian, soit 31,8 % du chiffre d’affaires. Pour ces laissées-pour-compte, l’explication se trouve moins dans leur typologie ou leur localisation que dans leur incapacité à bénéficier de l’effet boost des missions Covid. Soit par manque de places et/ou de personnels.
Sur le plan des ressources humaines, toutes les pharmacies ne se trouvent en effet pas sur un pied d’égalité. La progression des frais de personnels de 5,30 %, bien supérieure à la hausse du Smic au cours de l’année dernière, ne peut être absorbée dans toutes les pharmacies par le gain de productivité d'environ 15 000 euros par salarié (ou titulaire). Sans compter que, pour ces titulaires, la situation risque de s’aggraver au cours de cette année qui a déjà connu deux hausses de 3 % de la grille et une augmentation de 12 % de la masse salariale au cours du premier semestre. « Un tiers de la marge sert à payer le personnel », rappelle Emmanuel Leroy. Ces constats amènent certains titulaires à s’interroger : comment composer avec ces hausses de salaires, dans un contexte de pénurie de personnels, alors que l’embellie du chiffre d’affaires reste, somme toute, éphémère. Et que la part du médicament remboursable et, avec elle, sa marge, s’érodent d’année en année ?
Réduire la voilure
Dans ce cas, les écarts au sein du réseau officinal, observés d’année en année, risquent une nouvelle fois de se creuser. Certes, 2021 est parvenue à contenir le phénomène puisque davantage d'officines que les années précédentes ont bénéficié d’une hausse d’activité (environ 80 % du réseau contre 66 % en 2021). Mais ce répit risque d’être de courte durée et ne saurait éviter que deux centaines de pharmacie éteignent chaque année leur croix verte.
Pour endiguer ce phénomène et surtout anticiper le désenchantement après cette année exceptionnelle, les experts-comptables émettent des pistes de réflexion, voire de nouvelles stratégies. Ainsi, un certain nombre de produits se vendent à perte en officine ; dans ce cas pourquoi ne pas reconsidérer en profondeur leur référencement ? De même, certaines activités s'effectuent à perte, ne faudrait-il pas revoir leur utilité ?
Les experts conseillent de s’inspirer d’autres secteurs d’activité, tels que la restauration ou même l’industrie automobile, à l’instar de Stellantis qui vend moins de voitures mais augmentent sa marge. « Un certain nombre de sociétés ont réduit leur activité, ce qui leur a permis, aussi paradoxal que cela puisse paraître, d’augmenter leur rentabilité », déclare Philippe Becker. Et Joël Lecoeur de renchérir : « La réduction des horaires peut être une solution à la pénurie de personnels et à la problématique de la rentabilité. Elle suppose cependant de revoir l’organisation du réseau. » Cette solution est d'ailleurs déjà mise en œuvre dans un certain nombre d'officines comme l'atteste l'enquête parue dans « le Quotidien du pharmacien » (édition du 22 septembre).
Face aux nouvelles donnes financières de l’officine, accentuées par l’inflation, les experts-comptables deviendraient-ils les chantres du « travailler moins pour gagner plus » ? À méditer.
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