LE QUOTIDIEN DU PHARMACIEN. – Vous avez annoncé hier le lancement d’une expérimentation de dépistage de la BPCO en partenariat avec la Mutualité française. En quoi consiste cette expérimentation ?
GILLES BONNEFOND. - Nous travaillons en effet actuellement avec la Mutualité française sur une opération de dépistage de la BPCO. Celle-ci devrait commencer au cours du premier trimestre 2014 dans des officines du Nord-Pas-de-Calais, de Bretagne et de Rhône-Alpes. Il s’agit de repérer les personnes à risque ne bénéficiant pas encore de traitement et de les inciter à consulter rapidement un médecin.
Au-delà des actions de dépistage, nous voulons relancer le dossier de la médication officinale avec les complémentaires santé. Nous souhaitons inscrire cette pratique dans un véritable parcours de soins, à l’opposé de l’automédication. Il ne faut pas confondre la personne qui ouvre son armoire à pharmacie et celle qui va à la pharmacie, et demande un conseil. Les outils existent aujourd’hui pour permettre aux organismes complémentaires de prendre en charge un panier de soins bien identifié, qui pourrait être de 30, 40 ou 50 euros par an. Développer la médication officinale, c’est créer un accès aux soins homogène sur le territoire, qu’il y ait un médecin ou non, qu’il y ait un service d’urgence à proximité ou non. La médication officinale est pour nous une véritable stratégie dans l’accès aux soins.
Les Rencontres de l’USPO ont également été l’occasion d’aborder l’économie de l’officine en général, et l’évolution de la rémunération en particulier. Pourquoi n’êtes-vous pas prêt à accepter les propositions de la CNAM** prévoyant l’instauration d’un honoraire à la boîte d’un euro ?
C’est une réforme en trompe l’œil qui consiste à faire croire aux pharmaciens que l’instauration d’un honoraire à la boîte d’un euro va protéger leur rémunération des baisses de prix. On hypnotise la profession. C’est ridicule. Et puis, ce projet présente de nombreux inconvénients. Sur la TVA notamment : quel taux sera appliqué pour cet honoraire, 2,1 % ou 19,6 % ? Y aura-t-il un ticket modérateur sur cet honoraire ? Pas sûr, compte tenu des sérieuses réserves émises par les organismes complémentaires sur cette proposition (NDLR, voir notre édition du 18 novembre). Enfin, devra-t-on faire payer un euro au patient lorsqu’on lui vendra un produit remboursable sans ordonnance ? En effet, avec l’apparition d’un honoraire conventionnel d’un euro, la marge commerciale tombera à 0 pour tous les médicaments dont le PFHT est inférieur à 1,84 euro. Cette réforme présente beaucoup d’incertitudes, pour, au final, ne rien rapporter à la profession. C’est pourquoi j’ai demandé à l’assurance-maladie d’explorer d’autres pistes, comme la revalorisation du forfait à la boîte à 60 centimes d’euros, mais aussi l’introduction d’un honoraire complémentaire de dispensation à l’ordonnance pour les prescriptions de moins de 10 euros et d’un honoraire de dispensation fractionnée, comme nous le faisons pour les traitements de substitution aux opiacés.
Vous ne signerez donc rien avec l’assurance-maladie à l’issue de la prochaine réunion prévue le 11 décembre ?
?Non, et je maintiens qu’il ne peut pas y avoir de signature tant que nous n’avons pas de contrat économique pluriannuel avec l’État, comme en ont eu un les biologistes, et tant que le problème des remises sur les génériques n’est pas réglé. Et, pour l’heure, je n’ai toujours pas de rendez-vous avec le ministère de la Santé pour discuter de ces dossiers. L’assurance-maladie ne possède pas d’enveloppes cachées, elle n’a que celles que le gouvernement lui donne, c’est-à-dire rien aujourd’hui.
Quels sont les avantages de l’augmentation du forfait à la boîte à 60 centimes d’euros que vous défendez ?
Augmenter le forfait à la boîte de 53 à 60 centimes d’euros permet tout simplement de revaloriser la marge de l’ensemble des médicaments de 7 centimes, pour tous les produits dont le prix est compris entre 0 et 27 euros PFHT, soit pour 84 % des références. Alors que, dans l’autre proposition, pour avoir un euro par boîte, les baisses de marge s’appliqueraient à tous les médicaments dont le PFHT est supérieur à 1,84 euro, soit à 89 % des références. De plus, 75 % de la revalorisation se concentre sur le paracétamol et l’homéopathie. C’est une prise de risque énorme et nous pouvons le payer très cher. Il suffit de regarder ce qui se passe chez les grossistes-répartiteurs qui ont perdu de la marge sur les médicaments qui étaient au cœur de leur activité. On voit les dégâts deux ans après. Or c’est exactement le même piège que l’on nous tend. Je n’ai pas envie que cela se passe aussi dans la profession. Aujourd’hui, il faut peser les avantages et les inconvénients de chacune des pistes et voir si un compromis peut se dégager pour pouvoir signer.
Au-delà des discussions sur l’évolution de la rémunération, le PLFSS 2014 est une autre source d’inquiétude pour votre syndicat…
En effet, plusieurs mesures vont toucher de plein fouet l’économie de l’officine. C’est le cas notamment de l’article 12 bis qui prévoit l’introduction d’une taxe de 20 % sur le chiffre d’affaires hors taxes des laboratoires pharmaceutiques lorsqu’ils vendent directement des médicaments aux officines. C’est la fin pure et simple de la vente directe. Il y a aussi l’article 40 qui vise à mettre en œuvre un dispositif de transparence sur les remises obtenues par les pharmaciens, tout en offrant la possibilité aux ministres du Budget et de la Santé de fixer le plafond des remises, par arrêté, entre 0 % et 50 % du prix fabricant hors taxe (PFHT) ou du tarif forfaitaire de responsabilité (TFR). Pour nous, c’est clair, ce plafond doit plutôt se situer vers 50 %. Dans le cas contraire, ce serait un échec. Quant à la dispensation à l’unité, elle ne résoudra ni le problème de gaspillage de médicaments, ni celui de l’antibiorésistance. Elle va simplement conduire les officinaux à consacrer un temps précieux au comptage des comprimés au détriment du conseil dispensé au comptoir et de l’accompagnement des patients chroniques et des personnes âgées. Cela n’apportera rien et au final, c’est le pharmacien qui paiera l’addition. Enfin, je crains, comme il y a un déficit de recettes, que le gouvernement soit tenté d’augmenter encore les économies sur le poste médicament. Dans ce contexte incertain, un contrat avec l’État s’impose plus que jamais.
**Caisse nationale d’assurance-maladie.
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