Depuis plusieurs mois, toute la profession était en attente de la nouvelle convention qui vient d’être signée. Dès janvier 2013 notre rémunération comprendra une part d’honoraire et nous aurons la possibilité d’effectuer de nouvelles missions. Si l’on peut se satisfaire de cette avancée, qui nous fait revenir dans le monde libéral des professionnels de santé, de nombreuses questions se posent quant au devenir de notre modèle économique actuel et sur notre capacité à le rendre compatible avec notre nouvelle rémunération. Les stratégies de développement proposées depuis de nombreuses années, et tout particulièrement depuis l’avènement des enseignes, font que, pour la généralité des pharmaciens, le modèle économique suivi se rapproche d’un modèle commercial.
L’introduction d’un honoraire de dispensation et la rémunération forfaitaire d’entretiens pharmaceutiques devraient entraîner un bouleversement du mode d’exercice d’un grand nombre de pharmaciens. N’en déplaise à tous les intervenants qui nous considèrent comme de simples distributeurs spécialisés, le modèle économique officinal s’est éloigné du modèle commercial qu’ils nous conseillent de suivre depuis la mise en place de la MDL, et le rajout d’un honoraire de dispensation ne fera qu’accentuer cette différenciation. Le fait de continuer à privilégier les développements basés sur une offre commerciale va causer à très court terme des problèmes éthiques et déontologiques car il serait inconcevable que les stratégies tendant à faire croître les trafics avec des arguments essentiellement commerciaux servent à attirer des malades apportant une rémunération par honoraires (...) Il faut que les titulaires se préparent à retrouver un mode d’exercice qu’ils n’auraient jamais dû abandonner. Les pharmaciens ne vont pas changer de métier comme l’annonce Philippe Gaertner, le président de la FSPF, mais ils vont retrouver leur métier en ayant la quasi-obligation d’abandonner la notion de concurrence au profit d’un retour à la confraternité
(...) Il faut donc se préparer et anticiper cette modification pour ne pas reproduire les erreurs qui ont jalonné les vingt ans qui nous séparent de la mise en place de la dernière modification de notre rémunération, la marge dégressive lissée (MDL).
Avec la signature de la nouvelle convention, la profession se retrouve confrontée à une nouvelle modification, qu’elle a elle-même souhaitée, alors qu’elle ne sait toujours pas comment fonctionne sa rémunération actuelle, ni si le modèle économique suivi lui est adapté. Même s’il est impossible de savoir exactement ce qu’apportera économiquement la nouvelle convention, puisque nous ne connaissons pas comment cet honoraire sera calculé, il est acquis qu’il concernera la dispensation d’ordonnances (...) Actuellement la MDL profite économiquement aux officines qui possèdent le pourcentage d’ordonnances le plus élevé dans le total de leurs ventes, les effets de la MDL faisant que plus ce pourcentage est élevé, plus le panier moyen ordonnance (PMO) est élevé et, donc, plus la rémunération à l’ordonnance est élevée.
Le pourcentage moyen France 2011 est de 59 % d’ordonnances et 41 % de ventes hors ordonnances pour un PMO France 2011 se situant autour de 49 € et une rémunération de 10,40 € (hors remises). En fonction du modèle économique de l’officine, le pourcentage d’ordonnances dans les ventes totales peut varier de 20 % à 70 % et la rémunération à l’ordonnance peut aller du simple au double. Le chiffre d’affaires ordonnances représente 85 % du chiffre d’affaires total avec 59 % d’ordonnances, cette part pouvant dépasser les 90 % avec 70 % d’ordonnances dans les ventes totales ou être inférieure à 50 % avec un taux d’ordonnances à 20 %. Le futur honoraire de dispensation étant attaché à l’ordonnance, quel que soit le mode de calcul qui sera utilisé, ce sont les officines qui posséderont le taux d’ordonnances le plus élevé qui seront avantagées. La connaissance de son modèle économique va donc devenir primordiale, le taux d’ordonnances dans ses ventes totales faisant partie des indicateurs pertinents nécessaires à la bonne compréhension de la modélisation. Pour augmenter son taux d’ordonnances, le titulaire doit changer son mode d’exercice pour faire évoluer le modèle de son officine. Il est bien évident qu’il y a peu de chance que les pharmaciens s’engagent sur une voie différente de celle existante et la concurrence régnant entre les pharmaciens ou leur groupement fera que les développements seront toujours tributaires des augmentations de trafics. Pour les pharmaciens qui voudraient connaître leur avenir économique, la simple consultation de leur taux d’ordonnances dans les ventes totales et le suivi de son évolution devraient leur permettre de faire évoluer leur modèle pour ne pas souffrir économiquement avec la nouvelle rémunération.
Avec un taux d’ordonnance supérieur à 62 % et un PMO supérieur à 45 €, l’économie d’une officine sera préservée, à la condition que le taux ordonnance ne baisse pas, les officines de quartier étant celles qui sont les plus proches de ces indicateurs. Pour maintenir ce taux, le faire progresser ou bien limiter sa baisse, il faut agir sur la politique commerciale en réduisant l’offre produit et en modifiant son image et sa communication, ce qui, entre autre, est plus facile à réaliser pour les pharmacies de proximité qui possèdent un chaland limité. Ceci veut dire que, avec la nouvelle convention, l’éthique et la déontologie vont rejoindre l’économie. Pour bénéficier à plein des effets économiques attendus, il faudra limiter, et même abandonner, les politiques commerciales, sous peine d’accentuer le déclin économique actuel. La nouvelle convention est le point de départ du transfert de notre rémunération vers l’honoraire, ce qui implique une remise en cause du mode d’exercice commercial, pour revenir très rapidement à un mode d’exercice plus conforme à notre rôle, le mode d’exercice libéral permettant déjà aux titulaires qui exercent de cette façon de posséder le modèle économique le plus rentable.
En signant cette nouvelle convention instituant la rémunération mixte espérée, les syndicats ont entériné la fin d’un modèle économique qu’ils estiment eux-mêmes à bout de souffle. Il leur faut maintenant définir les contours d’un nouveau modèle compatible avec cette nouvelle rémunération, ce qui, apparemment, ne semble pas être leur priorité, bien que seulement quelques mois nous séparent de la révolution annoncée. Mais si rien ne change dans les stratégies de développement, quelle sera la perception de cette révolution par les malades qui fréquentent tous les jours nos officines et qui ont été abandonnés par beaucoup d’entre nous au profit des consommateurs patients ?
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