Emmenée sous les bannières des syndicats, FSPF, USPO et UNPF, des groupements, Federgy et UDGPO ainsi que de l’Association nationale des étudiants en pharmacie de France (ANEPF), une marée blanche de quelque 4 000 officinaux a relié la fac de pharmacie de l'Université Paris-Cité au ministère de l’Économie et des Finances. Un trajet de cinq kilomètres qui s’est achevé aux portes du ministère de l’Économie et des Finances. Les représentants de la profession en ressortiront deux heures plus tard, porteurs de quelques bonnes nouvelles.
Environ 2 500 manifestants s’étaient rassemblés dans l’après-midi à Marseille devant la Préfecture. La principale raison de leur colère ? Les ruptures de stock continues et répétées mais aussi les difficultés économiques. Des griefs relayés également à Nice, dans la région PACA et en Corse-du-Sud où le taux de fermetures atteignait 100 % (90 % en Haute-Corse). « Allô l’Élysée, aujourd’hui ils n’en peuvent plus. Les pharmaciens sont dans la rue. Vous pouvez dire ce que vous voulez, ils sont abandonnés. » C’est sur cette parodie de la célèbre chanson de Joe Dassin que plus de 400 pharmaciens ont exprimé leur colère à Lyon. En premier lieu, contre les pénuries mais aussi contre les fermetures d’officine (30 en région Auvergne-Rhône-Alpes en 2023). Autre motif, le risque de perte du monopole et de vente de médicaments sur Internet. Des inquiétudes partagées par les confrères de Limoges. « Situation dramatique », « fermetures en pagaille » et « sentiment de ne pas être entendus » pouvait-on entendre dans les rues où se pressaient 400 pharmaciens. Avec plus de 95 % de pharmaciens mobilisés, jamais la préfecture de la Haute-Vienne n’avait connu une manifestation de blouses blanches d’une telle ampleur.
Fumigènes verts et ligne rouge
Le Sud-Ouest a également connu une mobilisation sans précédent, avec 800 pharmaciens dans les rues de Bordeaux et 1 500 dans celles de Toulouse où le préfet a refusé de recevoir la délégation. Avec pour cri de ralliement, « Pharmaciens à terre, les patients dans la galère », les manifestants de Montpellier accompagnés du doyen de la faculté de pharmacie, le Pr Vincent Lisowski, ont suscité la sympathie du public. Même adhésion de la population à Strasbourg, où les riverains se sont joints aux pharmaciens pour scander leurs slogans. À Nancy, l’heure était à la gravité dans le cortège parti de la Place Stanislas tandis que Mulhouse parvenait à réunir 450 officinaux dans ses rues. Les Bretons ont opté pour la bonne humeur malgré le contexte pour défiler dans les rues de Rennes où ils étaient plus d’un millier à chanter, crier et même danser. 95 % de fermetures dans les Côtes d’Armor et dans le Finistère une mobilisation encore plus forte avec 275 fermetures sur 283 officines tandis que le Morbihan affichait un taux de 92 %. Seuls points noirs : quelques pharmacies de centres commerciaux, qui ont rechigné à baisser le rideau par crainte d’une amende de leur bailleur.
À Nantes, où l’on comptait 94 % de participation à la grève, les responsables syndicaux ont été reçus à la CPAM qui a promis de relayer la colère à la CNAM. Les Pays de la Loire se sont démarqués avec une manifestation par département. Ainsi à Angers, 400 à 500 manifestants ont défilé. « Il y a un vrai ras-le-bol du manque de considération des instances et de reconnaissance envers le réseau et le métier ! », a confié Christophe Le Gall, titulaire à Angers en Maine-et-Loire, et président de l’Union nationale des pharmaciens de France (UNPF), une fois dans son train pour rejoindre le cortège parisien. En remontant la Loire, à Tours, la manifestation qui rassemble 500 officinaux est festive, mais non moins revendicatrice. Enfin, Lille (Nord) a réuni l’un des plus gros rassemblements de Province avec 3 000 et 3 500 pharmaciens. Souvent accompagnés de leur équipe, les pharmaciens n’ont pas hésité à sortir fumigènes verts et pancartes à l’humour carabin. Sans compter les innombrables allusions au député Marc Ferracci, accusé d’un projet de dérégulation de la vente en ligne : « notre ligne rouge », admet Jean-Marc Lebecque, membre du bureau de l’USPO et titulaire à Marck (Pas-de-Calais).
Ils ont choisi de rester ouverts
À Gévezé, à un quart d’heure de Rennes (Ille-et-Vilaine), en pleine zone rurale, la pharmacie Leprince-Pentel a fait le choix de rester ouverte le jour de la mobilisation nationale des pharmaciens. « Je n’ai pas vocation à défiler dans la rue, ce n’est pas dans ma nature », explique Delphine Pentel, cotitulaire avec Valérie Lhermitte de l’officine qui compte 5 salariés. « Je n’ai pas envie d’embêter la population. Et manifester, je ne suis pas sûre que cela serve à grand-chose. Cela servira-t-il pour qu’on soit mieux approvisionné ? Nous sommes victimes du fait que les médicaments partent vers d’autres marchés mais nous n’y pouvons rien », estime-t-elle. La veille, elle s’est fait interpeller pendant de longues minutes lors de ses emplettes chez Ikea par une patiente diabétique remontée car elle n’a pas son médicament. « Certains ont compris ce qui se, passait d’autres non », commente-t-elle sobrement. « Nous travaillons tous les jours pour expliquer ce qui se passe, essayer de maintenir nos stocks. Après le Covid, je trouve que le système de santé français se dégrade à tout niveau, notamment au niveau du nombre de ruptures grandissantes des médicaments. On pensait avoir touché le fond pendant la pandémie, mais la descente continue. Le métier a changé ».
À Paris, Éric Nahmani a lui aussi choisi de rester ouvert le 30 mai. Sa pharmacie était située sur le trajet des manifestants. « Avec tous les jours fériés en mai, je ne pouvais pas me permettre de fermer une journée de plus. Ou alors je ne pouvais pas me rémunérer avant le mois d’août », justifie ce titulaire, non syndiqué, n’adhérant à aucun groupement, employant 12 salariés. Rare officine ouverte à Paris, il n’a pourtant pas vu beaucoup de patients.
Le soir du jeudi 30 mai, Delphine Pentel n’a pas non plus vu beaucoup de patients dans son officine. « On s’occupe en faisant du rangement, l’inventaire », résume-t-elle. Mais d’ajouter : « Ce que j’aime, c’est que mes patients sortent mieux qu’en rentrant, délivrer correctement, toute l’ordonnance, avec le conseil associé, l’acte pharmaceutique et la prise en charge humaine. »
Fabienne Colin et Anne-Hélène Collin
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