FUSIONS-ABSORPTIONS ! Deux maîtres mots dans l’univers des laboratoires pharmaceutiques. En quelque trois années ce secteur industriel a en effet connu un nouveau mouvement de concentrations. Un mouvement d’une ampleur exceptionnelle, puisque les rachats de Wyeth par Pfizer, de Schering-Plough par Merck-Sharp&Dohme (MSD) ou encore de Genzyme par Sanofi ont, selon un spécialiste du secteur, « coûté entre 20 et 50 milliards d’euros à chaque fois ». Et à ces rachats, il convient d’ajouter ceux de start-up et autres sociétés de biotechnologie qui, à l’instar de l’acquisition de Nycomed par Takeda « sont évalués entre 3 et 10 milliards d’euros ».
Ce phénomène n’a rien d’étonnant pour autant, puisque « les grands groupes pharmaceutiques ont divisé par deux voire par trois le nombre de leurs projets de recherche ». Conséquence : les découvertes de nouveaux médicaments sont de plus en plus rares. En outre, « les dépenses nécessaires à leur mise sur le marché ont explosé et, aujourd’hui, dépassent allègrement les 750 millions d’euros ». Soit cinq fois plus qu’au début des années 2000, lorsqu’ont démarré les premières grandes fusions.
80 % de chiffre d’affaires perdus en trois mois.
La raison ? « L’accroissement vertigineux des exigences technico-réglementaires, qui sont liées à la mise sur le marché d’un nouveau médicament, associé aux contraintes post AMM (NDLR, autorisations de mise sur le marché) a littéralement fait exploser les coûts, puisque tous les États définissent des populations cibles de plus en plus étroites ». En clair l’évolution de la conception du risque aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Allemagne et en France a rendu nettement moins profitables les lancements de nouveaux médicaments.
En outre, « L’extrême brutalité avec laquelle un laboratoire subit la perte du brevet d’un de ses produits va nécessairement engendrer de nouvelles prédations dans le top 20 mondial ; voire dans le top 10 », explique un membre du LEEM (les entreprises du médicament). Désormais, un laboratoire princeps voit en effet s’évaporer en trois ou quatre mois le chiffre d’affaires qu’il perdait autrefois en dix-huit mois. Soit 80 % des ventes du médicament génériqué.
L’ère des grandes manœuvres n’est donc pas terminée. Bien au contraire ! Pour preuve : l’extrême fragmentation du secteur pharmaceutique. Alors que dans toutes les industries basées sur l’innovation, l’essentiel du marché est entre les mains de quelques leaders, le degré de concentration est loin d’être atteint par les laboratoires pharmaceutiques. « Le numéro un mondial du médicament ne dépasse pas ainsi les 10 % de parts de marché et le cinquième en détient moins de 4 % », explique encore ce spécialiste du secteur, convaincu que « les big pharma vont encore se rapprocher les unes des autres ».
La croissance du marché mondial tirée par les « BRIC ».
Mais une éventuelle taille critique n’est plus l’objectif recherché. La raison est ailleurs. « À l’heure de la mondialisation, il est primordial de pouvoir être présent sur toute la planète ». D’autant que les principaux marchés pharmaceutiques sont désormais matures. En clair ils ne sont plus à l’origine de la croissance. Selon les dernières projections de la société américaine d’études, IMS Health, « la croissance du marché pharmaceutique mondial provient désormais des pays émergents ». Les pays occidentaux, comme la France enregistrant une stagnation des ventes ; voire une involution pour certains d’entre eux.
Quand bien même, d’ici à 2015, le marché pharmaceutique mondial dépasserait le seuil des 1 000 milliards de dollars, à l’instar de ce qui est déjà en train de se passer, la plupart des marchés matures (États-Unis Japon, pays d’Europe de l’Ouest) vont enregistrer une croissance négative allant de -0,3 % pour la France ou les États-Unis à -2,5 % pour le Japon, en passant par -1,2 % pour le Royaume Uni ou -1,4 % pour l’Allemagne. Conséquence : la croissance mondiale sera tirée par les pays émergents ; et en particulier le club des BRIC : Brésil (+10 à 13 %), Russie (+11 à 14 %), Inde (+ 14 à 17 %) et Chine (+19 à 22 %).
Quant aux autres marchés émergents, ils devraient croître de 13 % à 16 %. Des perspectives qui incitent IMS Health à affirmer que « d’ici à 2015, la Chine remplacera les États-Unis comme principal contributeur à la croissance mondiale ». Le premier devrait en effet voir sa part régresser de 27 % à 11 % ; alors que la seconde passera dans le même temps de 12 % à 26 %. Quant aux cinq principaux marchés européens, ils devraient voir leur contribution à la croissance mondiale divisée quasiment par deux et passer de 12 % à 7 %.
Changements de leadership dans les aires thérapeutiques.
Ce « nouvel ordre mondial » devrait donc logiquement inciter les grands groupes internationaux à « opérer des choix stratégiques dans leurs investissements », explique le directeur général d’IMS Health France, Robert Chu. En 2014, la Chine pourrait ainsi devenir le troisième marché en termes d’investissements des multinationales (9e en 2004 et 5e en 2009), alors que, dans le même temps, le Royaume Uni continuerait sa descente aux enfers pour pointer à la 12e place (6e en 2004 et 9e en 2009). Quant à la France, elle limiterait les dégâts en perdant encore un rang pour se classer à la cinquième place (3e en 2004 et 4e en 2009), juste derrière l’Allemagne (4e en 2004 et 3e en 2009) et devant le Brésil (10e en 2004 et en 2009). D’où le rachat d’un génériqueur indou par un grand groupe japonais, celui d’un tchèque par le premier Français ou encore d’une société brésilienne par le LFB (laboratoire français du fractionnement et des biotechnologies).
Dans le même temps, les cartes vont être redistribuées entre les différents domaines thérapeutiques. À l’instar de l’oncologie, qui représentait 8 % du marché en 2010 et devrait peser 12 % en 2020, certaines spécialités vont enregistrer une forte croissance de leur poids. Le diabète va ainsi passer de 4 % à 7 % de parts de marché et les pathologies cardio-vasculaires de 3 % à 4 %. Une croissance d’autant plus impressionnante que, durant cette période, le marché devrait croître de 41 % et passer de 591 milliards de dollars à 1 009 milliards de dollars.
Quelques secteurs en régression.
À l’inverse, certaines aires thérapeutiques jusqu’alors reines vont perdre de leur influence. L’asthme passera ainsi de 6 % à 5 % de parts de marché ; l’hypertension glissera de 5 % à 4 % et la sphère psychiatrique de 5 % à 3 %. Quant aux traitements contre le cholestérol et les troubles gastro-intestinaux, ils quitteront tout bonnement le top 10. Cette « régression », due en règle générale à la perte de brevets de médicaments phares et à l’absence de mise sur le marché de nouveaux produits, doit toutefois être relativisée par la croissance du marché. Le chiffre d’affaires généré par les antiasthmatiques devrait ainsi passer de 35,5 milliards de dollars à 50,45 milliards de dollars, au niveau mondial ; celui des antihypertenseurs de 29,55 milliards de dollars à 40,36 milliards de dollars et celui des antipsychotiques de 29,55 milliards de dollars à 30,27 milliards de dollars. De la même manière, les 31 autres spécialités, qui concernent plutôt la médecine générale généreront encore 514,59 milliards de dollars en 2020 (307,32 milliards de dollars en 2010).
Produits plus ciblés.
Il ne faudrait toutefois pas en déduire que l’ère des « blockbusters » est révolue. En effet, si « aucun produit de spécialité ne dépasse aujourd’hui la moitié du chiffre d’affaires du Tahor/Lipitor », selon Robert Chu, le CA de nombreux produits plus ciblés dépassent largement le milliard de dollars. C’est le cas des produits issus des biotechnologies. Ceux-ci représentent un marché de 138,4 milliards de dollars et maintiennent, depuis bientôt dix ans une croissance supérieure à celle des produits pharmaceutiques traditionnels. Les dix principaux produits biotech génèrent 49 milliards de dollars de chiffre d’affaires (35,4 % de parts de marché). Néanmoins, ce marché reste encore concentré entre les mains de quelques acteurs, puisque les dix premiers laboratoires actifs sur ce segment représentent 68,8 % de parts de marché (94,9 milliards de dollars).
De plus en plus d’acteurs devraient néanmoins investir ce marché prometteur. La raison ? « Le développement d’un médicament est un processus long, cher et risqué », explique Robert Chu. Or, l’enjeu de propriété intellectuelle auquel sont aujourd’hui confrontés les fabricants de molécules chimiques, épargne pour l’instant les sociétés biotechnologiques. En outre, les trois grandes maladies - cancers, pathologies cardio-vasculaires, diabètes - et les maladies rares sont principalement concernées par l’émergence de ces thérapies le plus souvent ciblées. Donc des molécules difficilement copiables et des marchés plus protégés.
Le marché pharmaceutique a déjà entamé son changement d’ère. À charge pour les grands acteurs mondiaux de redéfinir leurs positionnements et leurs stratégies : soit développer des produits princeps issus des biotechs et qui seront de futurs blockbusters ou bien continuer miser sur les volumes avec des génériques. Sans oublier une éventuelle diversification dans les dispositifs médicaux… À moins que la solution ne passe par ces trois voies.
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