La colère monte dans la profession. La mobilisation à laquelle ont appelé mardi les représentants des pharmaciens et des étudiants en pharmacie témoigne de ce ras-le-bol général face aux silences du gouvernement et à l’inertie des pouvoirs publics. Mais au-delà de cette grogne, règne un profond malaise parmi les officinaux et leurs potentiels successeurs. Les titulaires ressentent un certain désarroi à ne plus pouvoir remplir leurs missions dans des conditions satisfaisantes. Les étudiants, de leur côté, expriment l’inquiétude de ne pouvoir opter sereinement pour la filière officine (voir ci-dessous). C’est aujourd’hui quasiment une angoisse existentielle qui s’empare d’une profession pourtant appréciée des Français et reconnue pour son rôle d’acteur de santé. La journée de mobilisation du 21 novembre traduit dans son slogan cette urgence à « se mobiliser aujourd’hui, pour continuer à exister demain ».
Lutter contre les pénuries pour éviter un accès aux soins en mode dégradé
La multiplication des pénuries de médicaments au cours des deux dernières années contribue sans aucun doute à l'impression de déclassement exprimé par les pharmaciens. Et à l’exaspération d’une profession qui consacre plus d’une journée par semaine à palier les conséquences de ce fléau et beaucoup d’énergie à en expliquer les causes à leurs patients ! En bout de chaîne, les pharmaciens ont par conséquent le sentiment d’essuyer les plâtres quand ils ne sont pas directement soupçonnés par les pouvoirs publics d’être à l’origine de ces pénuries ! Le ministre de la Santé réunit cette semaine pour la deuxième fois l'ensemble des acteurs de la chaîne du médicament. Avec, à la clé, une charte qui engage toute la filière dans des bonnes pratiques. Dans l'attente d'une feuille de route plus contraignante.
Stopper les fermetures d’officines pour sauver le maillage territorial
Exister demain. Ce deuxième pan du mot d’ordre du 21 novembre sonne comme un mantra. Il guidera les syndicats de la profession lorsqu’ils s’emploieront à négocier avec l’assurance-maladie. Mais pour certaines officines, la menace existentielle est aujourd’hui bien réelle. Parce qu'elles sont souvent situées dans des territoires ruraux, subissent de plein fouet la désertification médicale et/ou ne réalisent pas un chiffre d'affaires suffisamment élevé, de nombreuses pharmacies ferment, faute de repreneurs. En moyenne, 200 officines baissent le rideau chaque année, mais en 2023 cette tendance semble s'accélérer. Selon le président de l'Union des syndicats de pharmaciens d'officine (USPO), Pierre-Olivier Variot, le nombre de fermeture de pharmacies pourrait s'élever à 240 à la fin de l'année si l'on se base sur les chiffres observés depuis janvier. « En octobre, 45 liquidations, 24 redressements et 15 sauvegardes avaient été prononcés », précise-t-il*.
Si pour certains pharmaciens il est déjà trop tard, d'autres tentent désespérément de trouver une solution pour permettre à leurs patients de conserver une officine proche de chez eux. Quitte à la brader. Aujourd'hui, des pharmaciens déclarent en effet être prêts à céder leur fonds pour un euro symbolique. Un sacrifice financier en guise d'unique solution pour préserver le maillage pharmaceutique. Ainsi, à Saint-Martin-de-Landelles, dans la Manche, ou encore à Landéan, en Ille-et-Vilaine, deux officines ont pu être maintenues car leurs titulaires respectifs ont consenti à cet effort, le tout après avoir repoussé leur départ à la retraite de quelques années… Ailleurs, d'autres officinaux ont décidé d'envisager cette solution, en espérant qu'elle aboutisse. C'est notamment le cas dans le petit village des Hermites, près de Tours, où la titulaire cherche en vain un successeur après plus de quarante ans d'exercice. Si l'officinale affirme avoir quelques contacts, rien n'est encore fait, laissant planer le doute sur l'avenir de la seule pharmacie du village. Autant de cas qui illustrent à quel point le maillage pharmaceutique est en danger dans certains lieux. Pour parer à la situation de ces pharmacies en péril, Philippe Besset, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF), plaide en faveur de la création d’un honoraire spécifique aux officines situées dans des territoires fragiles.
Car si la France ne compte pas encore de désert pharmaceutique à proprement parler, il n’est pas exclu que cela puisse être le cas d'ici à quelques années, notamment à cause du vieillissement de la profession et du manque d'attractivité de la filière, comme en attestent les près de 1 500 places vacantes en deuxième année de pharmacie ces deux dernières années…
Compenser l'inflation pour ne pas compromettre les nouvelles missions
Pour le réseau officinal, l’ouverture des négociations conventionnelles avec l’assurance-maladie est devenue la priorité numéro un. Alors qu’à la signature de la convention pharmaceutique, le 10 mars 2022, les syndicats représentatifs avaient souhaité reporter la négociation du volet économique, l’inflation persistante rend aujourd'hui impératif un accord avec l’assurance-maladie. Il y a urgence face à la hausse des charges et à la perte du pouvoir d’achat des quelque 120 000 salariés du réseau officinal. Le défi est double. Il s’agit tout d’abord de pérenniser l’entreprise officinale dont la rentabilité est sérieusement entamée cette année et le sera encore davantage en 2024 et 2025, selon les projections des experts-comptables. Philippe Besset établit la liste des revalorisations incontournables : « Nous demandons une augmentation de notre rémunération à l’ordonnance, la création de nouveaux honoraires pour le renouvellement des prescriptions de trois mois ou plus périmées, la dispensation de certains médicaments dans le cadre de protocoles, ainsi que pour nos interventions pharmaceutiques. » S'y ajoute une hausse des honoraires pour la prescription de vaccins et la sortie de l’imposition des indemnités de garde. « Le réseau fait face à des difficultés économiques très importantes. Les pouvoirs publics s'en sont arrêtés à la manne Covid que nous avons perçue. Sans vouloir comprendre que ces réserves ont été siphonnées depuis longtemps par la hausse des salaires officinaux et l'inflation », expose de son côté, Laurent Filoche, président de l'Union des groupements de pharmaciens d'officine (UDGPO).
De plus, ces aspects financiers ont des retentissements sur l’attractivité de la filière et in fine sur le recrutement. Le déploiement des nouvelles missions de santé publique et l’accès au médicament par le bon usage dépendront directement de la capacité de l’officine à employer du personnel qualifié et performant face aux évolutions des traitements.
L’ampleur de ces trois enjeux est telle que la profession ne peut plus se satisfaire des fins de non-recevoir des pouvoirs publics. « Que ce soit au niveau de la réforme du 3e cycle des études (voir ci-dessous), ou de l'ouverture des négociations, notre profession se fait balader par les pouvoirs publics. La seule chose qu'on puisse nous répondre, c'est que nous avons gagné de l'argent pendant le Covid. Pourtant, nous ne l'avons pas volé. Nous étions alors les professionnels de santé les plus au contact de la population ! », s'impatiente Alain Grollaud, président de la chambre syndicale des groupements et des enseignes de pharmacies, Federgy. Comme son confrère de l'UDGPO, il déplore le manque de considération du ministère et réitère son soutien aux étudiants et aux jeunes pharmaciens.
On l'aura compris, dans ce contexte, la mobilisation du 21 novembre a été avant tout un moyen de signifier que la profession, dans toutes ses entités, refusera désormais l’immobilisme auquel le gouvernement la contraint. Syndicats, groupements, étudiants et doyens des facultés de pharmacie préviennent : « Nous ne nous arrêterons pas avant d’avoir obtenu les garanties nécessaires. »
*Contre 34 liquidations, 10 redressements et 6 sauvegardes sur l'année 2022.
Dispensation du médicament
Tramadol et codéine sur ordonnance sécurisée : mesure reportée !
Formation continue
Transmission automatique des actions de DPC : les démarches à faire avant le 30 novembre
Relocalisation industrielle
Gel des prix sur le paracétamol pendant 2 ans : pourquoi, pour qui ?
Salon des maires
Trois axes d’action pour lutter contre les violences à l’officine