CodéDrill, Tussipax, Codoliprane, Claradol Codéiné, Humex Toux Sèche dextrométhorphane, Néo-Codion… Dans les officines, certaines stars du conseil ont pris cet été comme un « coup de vieux ». Précisément, depuis le 12 juillet, date à laquelle la ministre de la Santé Agnès Buzyn signait un arrêté à effet immédiat rendant tous les médicaments contenant de la codéine, du dextrométhorphane, de l'éthylmorphine ou de la noscapine disponibles uniquement sur ordonnance.
« De nombreuses présentations qui sortaient uniquement grâce au conseil officinal se retrouvent désormais coincées dans nos tiroirs en attente d'une hypothétique ordonnance », déplore une pharmacienne du Val-de-Marne. « Alors parfois, aux clients que nous connaissons bien, nous délivrons une boîte de Codoliprane ou de Sirop Humex Toux sèche sans le nouveau sésame de la prescription », reconnaît-elle. Un geste hors la loi ? « Oui. Mais nous prenons nos responsabilités. Ces médicaments sont précieux à notre conseil. En priver nos clients pour quelques mésusages marginaux me paraît exagéré. Sans compter que les laboratoires qui acceptent de reprendre les stocks commandés avant le listage sont rares… »
Que faire des stocks ?
Cette même mauvaise humeur et les mêmes questions sont exprimées sur le site du « Quotidien » : « Comme toutes les pharmacies, j'ai donc en stock et ne peux plus vendre des produits à base de codéine. Qu'est-ce qu'on en fait ? », s'interroge l'internaute Pascal R., pharmacien dans les Landes.
Comment en est-on arrivé là ? La réponse est à chercher du côté du purple drank. Les premiers signalements de mésusage de médicaments codéinés ont en effet été rapportés au réseau d'addictovigilance de l'Agence nationale de sécurité sanitaire et des produits de santé (ANSM) en 2013. L'agence avait adressé aux professionnels de santé en mars 2016 une mise en garde contre ces redoutables cocktails médicamenteux. La route vers la restriction de l'accès aux codéinés venait de s'ouvrir. Mais les choses se sont sans doute un peu emballées après que la mère de Pauline, 16 ans, décédée le 2 mai 2017 à la suite d'une overdose de médicaments à base de codéine, a lancé une pétition pour l'interdiction de cette « nouvelle drogue des ados ». Aux 50 000 signatures rapidement recueillies, s'est donc ajouté le paraphe d'Agnès Buzyn au bas de l'arrêté abolissant les conditions d'exonération à la réglementation des substances vénéneuses dont ces médicaments bénéficiaient jusqu'alors. C'était écrit : plus 1 milligramme de codéine ne sortirait des officines sans ordonnance.
Au-delà de l'aspect santé publique, la mesure fait aujourd'hui l'effet d'un couvercle sur les stocks des pharmacies. D'autant que, du côté des fabricants, aucune solution commune n’a été mise en place : « il n’y a pas eu de mot d’ordre sur l’attitude à adopter à ce sujet », confirme Daphné Lecomte-Somaggio, délégué général à l’AFIPA*. « Il n’y a pas eu de rappel de lots demandé au niveau des grossistes répartiteurs, et les reprises des unités sont à la discrétion les laboratoires concernés », développe-t-elle. Au final, les reprises d’invendus sont anecdotiques. Seule adaptation, les laboratoires ont jusqu’au 1er novembre pour se mettre en conformité par rapport aux règles concernant le conditionnement des médicaments à base de codéine.
Quelles alternatives thérapeutiques ?
Plus préoccupante que la question des stocks, celle des alternatives thérapeutiques mobilise les pharmaciens depuis l'annonce de la mesure. René Maarek, président de l'Union des pharmaciens de la région parisienne (UPRP), a ainsi adressé dès juillet un courrier à la ministre pour exprimer l'incompréhension face à la mesure et solliciter une entrevue. « Plusieurs problèmes se posent : d'abord celui lié à la prise en charge à l'officine des douleurs intenses. Les rages de dents ou les céphalées violentes se retrouvent au comptoir des pharmacies pour un soulagement rapide. Or depuis la mi-juillet, on ne dispose plus de l'arsenal conseil susceptible de les soulager. S'il ne nous reste plus que le paracétamol pour répondre à ces demandes, nous nous sentirons démunis. » Tel est le principal écueil de la mesure, estime le président de l'UPRP, mais ce n'est pas le seul. Également président de Pharm Addict, association de pharmaciens impliqués dans la prise en charge de la toxicomanie et des addictions, René Maarek craint que la population cible de la nouvelle réglementation, celle des jeunes utilisant la codéine à des fins « festives », ou celle l'utilisant pour stabiliser une addiction antérieure, échappe à l'interdit en s'administrant d'autres molécules, mais sans contact direct avec un professionnel de santé. « Que vont devenir ces patients avec qui nous avons tissé des liens et qui vont se procurer de nouvelles substances sur des marchés douteux ? » demande René Maarek à la ministre.
Lundi, un courrier du cabinet d'Agnès Buzyn accusait réception du message des pharmaciens. À suivre.
*Association française de l'industrie pharmaceutique pour une automédication responsable.
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