« NOUS SOMMES très inquiets quant à l’évolution du marché du médicament, qui dans dix ans n’aura plus rien à voir avec ce que nous avons connu », explique Gilles Bonnefond, président de l’Union des syndicats de pharmaciens d’officine (USPO). Les conséquences de l’affaire Mediator sont une évidence, en termes de perte de confiance des patients-consommateurs et au niveau d’un renforcement de la sécurité sur toute la pharmacopée, comme l’a martelé le ministre de la Santé, Xavier Bertrand.
Le marché va être régi par de nouvelles règles afin de limiter les innovations qui n’en sont pas et mieux encadrer la force de frappe des visiteurs médicaux. La pression sur les prix est une réalité partout en Europe. La bipolarisation amorcée entre une masse de médicaments dont les volumes de vente sont importants mais dont le prix est particulièrement bas, et un ensemble de médicaments chers à très faible volume a un impact sur les revenus de l’officine actuellement ancrés dans un modèle de marge dégressive lissée (MDL). À cela s’ajoute une incitation des médecins à prescrire mieux et moins cher : c’était jusqu’alors le CAPI ou Contrat d’amélioration des pratiques individuelles, c’est désormais le P4P ou paiement à la performance, « qui a les mêmes conséquences économiques pour l’officine et le marché du médicament », souligne Gilles Bonnefond.
Qualité et sécurité.
Autre changement : le respect de l’AMM pour obtenir le remboursement. « Parfois des prescriptions, même massives, étaient largement en dehors des indications de l’AMM pour l’éligibilité au remboursement. Je vous laisse imaginer les conséquences économiques… L’assurance-maladie s’intéresse à des outils pour faire respecter les indications autorisant le remboursement. »
Enfin, les autorités de santé se renforcent. La Haute Autorité de santé s’est dotée d’une composante médicoéconomique. L’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (AFSSAPS) va voir son rôle renforcé et doit revisiter toute la pharmacopée, y compris les molécules récentes et chères. « On a vu les conséquences sur Actos, Multaq, et peut-être demain sur d’autres médicaments récents, il faut donc être extrêmement attentif à ce qui va se passer à travers cette réévaluation qui intègre de nouveaux critères », ajoute le président de l’USPO. Le Comité économique des produits de santé (CEPS), de son côté, mène une réflexion pour revaloriser des médicaments anciens peu chers qui ont fait la preuve de leur efficacité et qui ne sont pourtant plus prescrits.
« Nous devons imaginer un système pour demain qui permette à la fois d’associer un service de qualité et de sécurité aux patients apporté par le réseau pharmaceutique, et la facette économique », précise Philippe Gaertner, président de la Fédération des syndicats pharmaceutiques de France (FSPF). Conscients qu’un accord syndical réunissant les trois syndicats était nécessaire, ils présentent un projet commun aux pouvoirs publics, avec un ensemble de propositions construites ensemble.
Un plan d’action de cinq ans.
Les syndicats souhaitent d’abord « éliminer deux points qui pourraient déstabiliser complètement toute négociation » : s’assurer que la vente de médicaments sur Internet ne sera pas autorisée et obtenir la fin des conditionnements trimestriels. « C’est une catastrophe. Comment faire de l’accompagnement patient si derrière on nous impose la dispensation de boîte de trois mois qui nous prend 50 % de notre marge ? À quoi ça sert d’avoir un honoraire s’il est pillé par les conditionnements trimestriels ? », s’interroge Gilles Bonnefond.
Les syndicats souhaitent mettre en place un plan d’action de cinq ans, qui correspond à la durée de la convention entre les pharmaciens et l’assurance-maladie. La première proposition concerne l’activité de délivrance et consiste à introduire trois niveaux de rémunération : au patient, à la dispensation, à la ligne. Ces outils, indépendants du prix du médicament, seront des variables qui pourront être ajustées en fonction de l’évolution du marché.
« La loi HPST et l’article 39 du PLFSS 2012 intègrent de manière opérationnelle, à travers l’assurance-maladie, les nouvelles missions du pharmacien. C’est ce qui doit tirer la croissance du réseau », estime Gilles Bonnefond. Ce sont des actes nouveaux qui, s’ils étaient parfois proposés dans certaines officines, ne faisaient l’objet d’aucun protocole ou évaluation. Ils apportent une réelle plus-value au patient.
Le troisième engagement des syndicats concerne l’amélioration du fonctionnement du réseau, ce qui passe par une restructuration : renforcement en milieu rural et concentration en zone urbaine. Cela signifie une révision à la hausse des quotas de population avec une autorisation d’installation pour une deuxième pharmacie à partir de 4 500 habitants, et non plus 3 500 comme c’est le cas actuellement. Il faudrait également que les pharmaciens d’une même commune aient la possibilité de racheter la licence d’une pharmacie en difficulté pour fermeture.
Restructurer le réseau.
De nombreux autres sujets sont abordés dans les propositions des trois syndicats : le problème du générique, les établissement hospitaliers pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), la préparation des doses à administrer (PDA), les sociétés de participations financières de professions libérales (SPFPL), la médication officinale, la formation avec le brevet de préparateur, le développement professionnel continu, les ruptures de stock et la simplification des tâches administratives. Finalement toutes ses activités liées à la pharmacie d’officine sont intimement liées les unes aux autres. « On ne peut pas parler du réseau sans intégrer ses différents aspects : la répartition territoriale, l’organisation capitalistique, les SPFPL, les regroupements, les possibilités de rachats-fermetures. C’est à la condition qu’on mette tout cela correctement en place, qu’on pourra faire évoluer le réseau », indique Philippe Gaertner.
La présentation du projet commun des syndicats semble répondre aux attentes des pharmaciens. Pour autant, Pascal Louis, président du Collectif national des groupements de pharmaciens d’officine (CNGPO) s’inquiète. « À ce jour, le réseau n’a pas été préparé au passage à une rémunération fortement liée à l’acte. Le Collectif s’est toujours battu en faveur des nouvelles missions et d’une rémunération comprenant des honoraires, mais nous pensons que le réseau n’est pas prêt. » Le CNGPO estime que l’évolution de la rémunération doit reposer sur un socle organisationnel du réseau. « On ne s’est pas donné les moyens de l’adapter à cette ambition, notamment en ce qui concerne les holdings. Il faut qu’on se mette autour d’une table pour retravailler sur le sujet. Il faudra aussi se donner les moyens de restructurer le réseau, sans quoi les nouvelles missions seront difficilement accessibles à une majorité de pharmaciens. »
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